LIVRE ce corps illustre (le quelques honneurs qui constataient l’autorité du chef de l’empire, on n’en accorda pas moins à Padoue le plus grand de tous les privilèges, celui d’être la seule ville où l’on pùt enseigner publiquement toutes les sciences : la dominante elle-même se soumit à cette exclusion, et on supprima le collège des jésuites de Padoue et le gymnase déjà existant à Trévise. Sans doute on peut mettre en question si c’était une mesure sagement conçue de concentrer tous les moyens d’étude dans une seule université; mais ces règlements n’en prouvent que mieux la faveur dont jouissait l’établissement célèbre existant à Padoue. Une magistrature fut instituée pour veiller à ses intérêts, comme à sa discipline, et contribuer à la perfection de l’enseignement. Non-seulement les honoraires des professeurs furent fixés avec toute la munificence convenable, mais le choix de ces professeurs eux-mêmes fut dirigé avec discernement. Les noms illustres qui ont appartenu à cette école en font foi. Une des règles les plus salutaires de ces choix était que l’université les faisait elle-même. Jusques en 1560 le droit d’élire avait appartenu aux étudiants, mais les désordres qui survin-sent à celte occasion amenèrent le changement de cet usage. Pour chaque chaire, et il y en avait plus de cinquante, on nommait deux professeurs, l’un indigène, l’autre étranger. Ce fut grâce à ce règlement que Padoue, en se glorifiant d’avoir produit les Zarabella, les Sperone Speroni, put compter le jurisconsulte Pancirole, l’anatomiste Vpsalius, cl Galilée, parmi scs professeurs. Padoue devint le foyer des lumières, et vit accourir de toutes les parties de l’Europe à son gymnase jusqu’à dix-huit mille étudiants. Une loi de la république défendit à tous les sujets vénitiens d’aller faire leurs cours académiques chez l’étranger, et déclara qu’on ne reconnaîtrait point les grades obtenus ailleurs qu’à Padoue. Six ou sept collèges, dont un spécialement affecté aux jeunes Cypriotes; des collections de machines et d’histoire naturelle; un jardin botanique, le plus ancien et le modèle des établissements de ce genre en Europe; une bibliothèque, un laboratoire, un amphithéâtre d’anatomie, complétèrent les moyens d’instruction que cette ville offrait aux étrangers. On y ajouta, dans les derniers temps, une école pratique d’agriculture, en affectant à ses expériences un assez vaste domaine. Enfin, il y avait un observatoire placé dans une tour, qui était autrefois une affreuse prison, du temps du tyran Ercelin. Deux vers gravés sur le portail rappelaient ce changement de destination. Ouæ qnendam infernas lurris dticebal al umhras, Nunc Vinelum auspicio pandit ad aslra viam. XL. 511 Une autre université fut établie à Venise en 1470, ou, pour parler plus exactement, le droit de conférer le grade de docteur dans les facultés de médecine et de philosophie, fut attribué au collège de médecine qui existait à Venise depuis longtemps. La bulle était signée d’un pape vénitien, Paul 11, qui était de la maison Barbo. Mais ce pontife, il faut l’avouer, ne peut être compté parmi les protecteurs des lettres : on lui reproche ses préventions contre les académies, et la défense qu’il publia d’en prononcer même le nom. 11 n’est que trop vrai qu'il fit mettre des académiciens à la torture, parce qu’il voyait en eux des hérétiques et quelquefois même des conspirateurs. La nouvelle université ne fut point considérée comme devant être la rivale de celle de Padoue, mais seulement comme destinée à initier dans les lettres les élèves qui devaient ensuite aller compléter leurs études dans le gymnase principal. On n’établit à Venise ni chaire de jurisprudence, ni chaire de théologie. Partout ailleurs il ne fut permis d’enseigner que la grammaire. Quoique ces restrictions plaçassent la nouvelle université dans un rang inférieur, les Vénitiens eurent la sagesse de senlir que les humanités, les sciences naturelles et mathématiques, offraient encore une assez belle carrière aux hommes qui voulaient se livrer à l’enseignement. Des patriciens, qui avaient occupé les plus hauts emplois de l’État, ne dédaignaient pas ces modestes fonctions; et cette noble émulation était entretenue par l’importance qu’on niellait aux choix. Le sénat lui-même se les était réservés. Neuf ans après la fondation de l’université de Venise, une loi vint interdire aux patriciens de concourir pour les chaires de Padoue; aussi la liste des professeurs deVenise est-elle en même temps celle des noms les plus illustres dans les fastes de la république; on y trouve successivement dans une même chaire, dans celle de philosophie, trois Bragadino, deux Foscarini, unCornaro, un Justiniani, un'l’revisani, un Moncenigo. Presque tous ces noms se retrouvent sur la liste des princes; on voit qu’ils ne doivent pas toute leur gloire à ce genre d’illustration. Si l’on veut bien considérer que l’on parcourt tout le nobiliaire de certains pays sans y rencontrer aucun nom auquel les lettres aient ajouté quelque lustre, tandis que dès le xvc siècle les grandes familles de Venise comptaient toutes de savants hommes, des historiens, des professeurs, qui n’étaient pas inférieurs à ce qu’il y avait de plus éclairé parmi leurs contemporains, on sera forcé de reconnaître qu’il fallait que le goût des lettres fût plus répandu et l’éducation plus soignée dans celle capitale que dans tous les pays situés au-delà des monts. A quelques égards, c’était le résultat naturel des