LIVRE XXXI. 91 qu'il y avait à tirer des ¡passions du vice-roi. Depuis la longue rivalité des maisons d’Anjou et d’Arragon, les Français n’avaient cessé de reporter leurs vues vers le royaume de Naples, et de faire aux moins des vœux pour en voir expulser les Espagnols. Laverrière sonda le duc : le trouvant aussi irrité, aussi ambitieux qu’il pouvait le souhaiter, il ne laissait pas échapper une occasion d’aigrir son ressentiment; et en lui peignant sous des traits odieux la maison d’Autriche, il avait soin de représenter cette maison en guerre dans le Nord avec des provinces révoltées, obligée de faire une trêve que les Hollandais menaçaient de rompre à tout pioment, occupée en Allemagne par la guerre de Bohême, dans le Frioul par les Vénitiens, en Italie par la France et le duc de Savoie, menacée en Sicile par les Turcs ; l’Espagne épuisée d’hommes cl d’argent, l’empereur sans moyens de la secourir, et toute l’Europe faisant des vœux secrets pour l’abaissemenl d’une maison qui occupait tant de trônes. Celte jalousie, si méritée par les héritiers de Charles-Quint, promettait des alliés à quiconque se déclarerait l’ennemi del’Espagne. Le vice-roi conçut que l’occasion était favorable. Son ressentiment et sou orgueil ne lui disaient que Irop d’en proliler, et de s’élever à la dignité de souverain : mais, pour y réussir, il fallait tromper le cabinet de Madrid, jusqu’au moment où l’on se croirait en état de le braver; s’assurer des alliés, gagner le peuple, inspirer (le la confiance ou de la crainte aux seigneurs napolitains, se ménager l’affection des troupes nationales, leur donner des chefs dévoués, les distribuer de manière qu’elles ne pussent opposer aucune résistance, recruter beaucoup d’étrangers, tenir la flotte à la mer, faire de nouveaux armements; et comme ces mouvements de troupes, ces levées, ces armements ne pouvaient s’opérer avec mystère, il fallait trouver un prétexte plausible, qui colorât toutes ces dispositions. Or, la chose était difficile , puisque l’Espagne était sur le point de conclure la paix avec le duc de Savoie, et l’archiduc avec les Vénitiens. Le duc d’Ossone prit le parti de ne pas regarder celte paix comme définitive, et de continuer les bos-tilités, même après la paix signée, au mépris de tout ce qu’on put lui écrire du cabinet de Madrid. *‘C gouvernement lui donnait ordre de renvoyer la flotte en Espagne, il la fit partir pour l’Adriatique. Le droit de souveraineté, prétendu par les Vénitiens sur ce golfe, n’avait jamais été reconnu formellement par les Espagnols; la moindre rencontre devait donner lieu à des plaintes, à des actes de violence, à des représailles, qui constituaient les deux Puissances en état d’hostilité, quoiqu’il n’y eût pas de guerre déclarée. Le vice-roi écrivit même au duc d’Uzeda, pour lui faire approuver toutes les raisons qui pouvaient porter la cour d’Espagne à se maintenir sur le pied de guerre ; il y allait de la gloire et de l’intérêt du roi d’abaisser l’orgueil de la république. La cour parut donner dans ce piège, à en juger par le peu de fermeté qu’elle mit à assurer l’exécution des promesses qu’elle avait faites aux Vénitiens. Tandis que les vaisseaux capturés, les cargaisons vendues, les préparatifs dont les ports retentissaient, l’apparition des escadres napolitaines dans l’Adriatique, occasionnaient un échange de plaintes et de récriminations, occupaient la curiosité publique et l’activité de la diplomatie des deux gouvernements; le duc, à la faveur de cette mésintelligence apparente, négociait avec Venise, et cherchait à capter la bienveillance des Turcs. 11 faisait consister la gloire de son gouvernement de Sicile, à les avoir tenus éloignés des côtes de ce royaume. Depuis qu’il était à Naples, il n’était bruit que de ses armements contre la puissance ottomane; il ne parlait que d’humilier le croissant; mais il était si peu vrai qu’il pensât sérieusement à l’attaquer, qu’il faisait offrir des présents au grand-visir, renvoyait au capitan pacha, son beau-frère, prisonnier des Espagnols, avec un grand nombre d’autres esclaves, cherchait à gagner la bienveillance du divan, et y entretenait des intelligences ; il fut même accusé, dans la suite, d’avoir rendu aux Turcs le service de les avertir d’une attaque projetée contre eux par la grande ¡lotte espagnole. Il n’aurait pas été fâché, disait-on, de voir détruire la marine du roi. De tels moyens pouvaient suffire avec les Turcs, parce qu’il ne s’agissait que d’endormir leur vigilance; on était sûr qu’une nouvelle révolution dans le royaume de ¡Naples leur serait fort indifférente; il n’était donc nullement nécessaire de les en prévenir; mais il fallait éviter qu’ils ne prissent ce moment pour piller les côtes ou pour attaquer les vaisseaux. VIII. Avec les Vénitiens, on ne pouvait se dispenser des confidences; ce n’était qu’à la faveur d’une brouillerie simulée avec eux que le vice-roi pouvait conserver sa flotte, augmenler scs troupes, et tenir le royaume dans une espèce d’agitation, toujours nécessaire pour faciliter un grand changement. Ce changement lui-même ne pouvait s opérer sans le concours, ou au moins sans 1 aveu du gouvernement vénitien. Les agents du vice-roi entrèrent en conférence avec le résident de la république à Naples, qui se nommait Gaspard Spinclli. On juge bien que, dans une matière si délicate, ils commencèrent par des I insinuations, se répandant en plaintes contre lis ! Espagnols, les accusant de tous les malheurs de