LIVRE XXXVI. 193 LIVRE XXXVI. KÉVOÏ.ÜTION FRANÇAISE, — CONDUITE DES VÉNITIENS ENVERS LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, l'88-179i). I. Les événements qui vont suivre appartiennent à l’histoire contemporaine. Ils se lient à une révolution qui a exalté toutes les passions humaines. Je ne sais point d’homme qui ait le droit de se dire impartial; mais ici il ne s’agit point de faire le tableau de la révolution française, encore moins de la juger. En rappelant ce grand événement, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de le peindre tel qu’il était vu de Venise. C’est de Venise qu’il faut entendre ces voix éloquentes, ces maximes inattendues, ces actes héroïques, qui portaient au loin l’enthousiasme et l’effroi; ces égarements déplorables, ces scènes horribles, dont les causes sont si mal connues; ces infortunes royales qui ont étonné le monde, et ces commotions qui l’ont ébranlé. Tout l’univers était présent à ce grand spectacle; tous les coeurs palpitaient, mais de sentiments divers. Si nous voulons connaître quelles émotions éprouvait à ces récits une nation éloignée de nous par la forme de son gouvernement, par ses intérêts, par ses habitudes, il faut nous transporter au milieu d’elle. Là, nos opinions personnelles, nos préjugés nationaux, perdront leur empire, et grâces à l’abondance des matériaux historiques, dont l’intérêt excuse quelquefois la prolixité aux yeux des contemporains, nous assisterons à notre tour au spectacle que présentait Venise, aux scènes tumultueuses de sa population et aux délibérations de son sénat. Pour s’expliquer la conduite des Vénitiens, dans les circonstances difficiles où ils vont se trouver placés, il faut se rappeler que, depuis plus de soixante- IMSTOIRE DE VENISE. — T. II. dix ans, ce gouvernement avait su se maintenir en paix. Trois générations s’étaient écoulées à l’abri de ces orages, déplorables sans doute, mais qui entretiennent l’énergie de l’homme. Ce repos,conservé par la timidité au moins autant que par la sagesse, on ne pouvait pas se flatter d’en être redevable à la réputation dont le gouvernement jouissait, puisque sa considération diminuait de jour en jour. Les passions actives auxquelles la guerre offre un aliment, avaient pris une autre direction, et la morale publique n’y avait pas gagné. Dans un pays où les conditions sont inégales, c’est un état dangereux que celui où les grands ne peuvent plus justifier leurs privilèges par d’éclatants services, et où les petits n’ont aucun moyen de sortir de leur nullité. On ne pouvait plus avoir aucune idée de gloire; mais l’ambition restait, et elle n’avait plus qu’une auxiliaire, l'avarice. C’est à l’époque de 1785 qu’on trouve une proclamation du gouvernement vénitien, qui invitait les patriciens à placer leurs fonds dans le commerce; ce qui prouve que le commerce manquait de capitaux, et la noblesse de désintéressement. L’inégalité des richesses et la corruption dès mœurs devaient amener la corruption du gouvernement, c’est-à-dire mettre une partie de l’ordre équestre dans la dépendance de l’autre, et complèler le système de l’oligarchie. La prospérité des fortunes privées devait décroître sous un gouvernement qui, au dedans, envahissait, et qui, au dehors, ne protégeait pas. 13