LIVRE XXVI. 19 «par un Irailé de paix. Quelle sera celte paix? « quelle sûreté vous donnera-t-elle? La crainledes « Turcs nous obligera de continuer les mêmes dé-« penses qu’en temps de guerre. 11 faudra entrcte-« nir des années, équiper des flottes, munir nos pla-« ces, vivre dans des appréhensions continuelles, « et, pendant que nous garderons religieusement « une paix si onéreuse, ces perpétuels ennemis du « nom chrétien porteront çà et là leurs armes infa-« tigables. A la faveur de notre nculralité, ils fe-u ront la guerre à l’empereur, envahiront la Pou il le, « finiront par s’emparer de quelque place, et par « avoir un établissement solide en Italie. Alors une h ruine certaine sera le prix de notre égoïsme et de « notre lâcheté. « I’uis donc que les négociations de la ligue sont « tellement avancées qu’il est permis d’en espérer «bientôt la conclusion; puisque cette ligue doit « assurer la coopération sincère de plusieurs gran-« des puissances à la défense commune; que la Bo-« hème, la Pologne, offrent de seconder nos efforts « par une courageuse diversion, comment pouvons-« nous délibérer, si nous renoncerons à de si belles « espérances, et mettre en question, si nous devons « faire des pas en arrière? Nous devons savoir qu’é-« loigner le danger, c’est l’accroître. Tant que la ii puissance ottomane ne sera point affaiblie et dé-« pouillée de sa marine, il n’y a point de sûreté « pour nous. « Mais cette puissance, ses victoires ne doivent pas « nous épouvanter. Les discordes des chrétiens ont « fait tous les succès des Mahomet et des Soliman. a Ici il n’en sera pas de même, les chrétiens se pré-« senteront unis : leurs forces seront égales, peut-11 être supérieures ; en attaquant l’ennemi sur tant « de points, nous découvrirons le côté faible, et si « les succès ne répondaient pas à notre attente, le “ meilleur moyen de traiter de la paix, n’est-il pas 11 d’avoir tous à la fois les armes à la main? Nous “ aurons du moins suivi une résolution généreuse, 11 nous aurons soutenu la réputation de la républi-“ que ; et. s’il faut que les hommes aient à déplorer a ses revers, ils pourront dire que la fortune lui * aura manqué, mais non pas le courage ni les no-11 bles conseils. » “Je ne partage point cet avis ni ces espérances, » repntMarc Eoseari, membre du conseil des sages, ct 1 un des hommes de la république à qui de longs Serv,ces et un vaste savoir donnaient le plus d’autorité. “ Je puis rappeler que je n’ai point varié dans “ mon système. J’ai toujours pensé qu’on ne devait 1 Point rejeter avec mépris les ouvertures de paix clui vous avaient été faites ; mais quand j’aurais 1 autrefois professé l’opinion contraire , j’en chan- « gérais aujourd’hui : il suffirait pour m’y déter-« miner de considérer les circonstances actuelles, « telles qu’elles sont, et non pas telles que nous les h présentent nos illusions et nos vœux. Je dois croire « qu’une grande partie du sénat partage ma manière « de voir, puisque cette affaire a été le sujet d’une « longue délibération, et que l’opinion contraire à « la mienne ne l’a emporté que de deux voix. On « serait donc presque autorisé à dire que la ques-« tion n’est pas encore résolue ; elle est douteuse au « moins. « Je ne saurais concevoir d’où naît tout à coup a cette extrême confiance dans nous-mêmes, cette « foi aveugle dans les promesses de princes qui nous « ont si souvent trompés; et cependant les circon-ii stances sont graves, l’erreur serait honteuse, et la « suite pourrait en être cruelle. « Je crains qu’une fatale disposition ne nous en-« traîne vers notre ruine.Nous n’ignorons pasqueïles « maladies ont épuisé notre armée. II faut, pour la « remettre au complet, affaiblir nos garnisons et « faire de nouvelles levées; et pourtant toutes ncs ii places sont en péril, elles ont toutes besoin de « renforts, car nous ne pouvons prévoir quelles sont h celles que l’ennemi veut attaquer. Le nombre de « nos soldats est très-insuffisant pour faire face de « toutes paris, et cependant nos finances peuvent à ii peine suffire à l’entretien de nos forces actuelles; ii nous en sommes réduits à l’insubordination im-« punie, et à endurer les murmures : nous feignons u d’oublier qu’il y a deux jours, un de nos capi-« taines, se plaignant du retard qu’éprouvait la « paie de ses soldats, nous conseillait, trop hardi-« meut sans doute, de faire la paix, si nous ne pou-ii vions pourvoir aux dépenses de la guerre; chaque u jour il faut aggraver les charges du peuple, et elles « sont telles, que la perception des taxes devient « impossible. « C’est une grande erreur de croire qu’une guerre « qui coûte plus de deux cent mille ducats par mois, « puisse être entretenue au moyen des sacrifices ii extraordinaires que s’imposent les citoyens. C’est u se complaire dans son aveuglement, que de vou-« loir que l’impossible devienne facile, pour soulc-« nir la haute opinion qu’on veut bien avoir de « noire puissance. « Mais allons plus avant. Oublions ces difficultés : « quelle confiance, je vous prie, pouvez-vous pren-« dre dans le secours de princes dont les vues, les «intérêts sont différents des vôtres, opposés aux « vôtres ? On vous parle du pape : je veux le croire « de bonne foi; mais il est âgé, irrésolu, nous ne u tirons aucun fruit de sa bonne volonté, même « dans ce qui dépend uniquement de lui. Voilà déjà « plusieurs mois que nous lui demandons son agré-