LIVRE XXXVII. 229 par des trophées et par la retraite de l’ennemi. A peine sortant de ce combat, les Français eurent à courir vers le haut Adige, pour arrêter la colonne du général Davidowitch, qui, ayant forcé la position de Rivoli, pouvait déboucher sur Mantoue. A l’arrivée des troupes victorieuses d’Arcole, il fut obligé de regagner les montagnes. Le général Alvinzi s’était arrêté derrière la Brenta. Ainsi, malgré une bataille perdue, il forçait les Français à rester sur l’Adige. Le jour même de la bataille d’Arcole, le gouvernement fiançais faisait partir un négociateur chargé de proposer à l’Autriche un armistice général, dont elle éluda la conclusion. L’utilité de cette suspension d’armes pouvait être envisagée sous différents rapports par les deux puissances belligérantes. En Italie, les Français pressaient Mantoue, et avaient conçu l’espérance de voir bientôt cette place succomber sous leurs efforts. Mais, en Allemagne, leur armée avait été ramenée jusque sur le Rhin, et le prince Charles attaquait vivement le fort de Kehl, dont la perte allait priver les armées de la république de la facilité d’envahir la Souabe. Ainsi, de part et d’autre, on risquait, par la continuation de la guerre, la perte d’une place importante; cl, par la suspension des hostilités, on laissait échapper l’occasion d’une conquête assurée (1). Les instructions du négociateur français, qui était le général Clarke, lui prescrivaient de proposer un armistice de six mois au moins, pendant le- (1) Voici l’opinion du général en chef sur ce projet d'armistice. « Le directoire conçu! l’espoir de faire accepter le principe d'un armistice général, qui conserverait Huningue et Kehl à la France, et Mantoue à l’Autriche.....Napoléon dit au général Clarke : « Les sièges de Kehl et de Huningue sont faciles à faire lever : l’archiduc n’a devant Kehl que 40 mille hommes; il faut qu’à la pointe du jour Moreau sorle de son camp retranché avec 60 mille hommes, le batte, prenne ses parcs et détruise tous ses ouvrages. D’ailleurs Kehl et la Iété de pont de Huningue ne valent pas Mantoue. Il n’y aurait aucun moyen de constater le nombre des habitants, hommes, femmes, enfanls, pas même celui de la garnison, l.e maréchal de Wurmser en réduisant tout le inonde à la demi-ration, gagnerait en six mois de quoi 'ivre pendant six autres mois. Si l’on prétendait que l’armistice dût servir pour entamer des négociations de paix, c’élait une nouvelle raison de ne pas le proposer pendant que Mantoue était au pouvoir de l’Autriche. Il fallait donc gagner une bataille sous les murs de Kehl et attendre la reddition de Mantoue pour offrir alors un armistice et la paix. » (Mémoires pour servir à l’histoire de France sous Napoléon, écrits à Ste-Hélène, t. lit, Guerre d’Italie, ch. 13.) (2) Le capitaine qui avait déjà conquis une partie de l’Italie, voyait avec regret que le directoire renonçait à une si belle conquête. Sa gloire personnelle était sans doute intéressée dans cette opinion, mais les raisons dont il l’appuie | u’en sont pas moins d’un grand poids. « Le cabinet du I quel les deux arméesdevaient garder leurs positions respectives. On offrait même d’abandonner les têtes de pont de Neuwied et de Huningue, pourvu que les Autrichiens évacuassent de leur côté celles qu’ils avaient en deçà de Manheim, sur la rive gauche du Rhin. Les approvisionnements de la place de Mantoue devaient être entretenus sur le même pied où ils se trouvaient, par le remplacement successif de la consommation journalière. Kehl, qui n’était point un poste offensif, ne pouvait dédommager les Impériaux de la perte de Mantoue; par conséquent, l’armistice leur était avantageux sous ce rapport; mais, d’un autre côté, il fallait se décider à laisser encore durant six mois les Français maîtres des provinces belgiques et de la Lombardie, et, pendant ces six mois, les liens de ces provinces avec la métropole ne pouvaient que se relâcher. Le négociateur était chargé en outre de proposer une réunion de plénipotentiaires des deux puissances, soit à Bâle, soit à Paris, pour y traiter de leur paix définitive et des intérêts de leurs alliés. On désirait surtout, pour simplifier et abréger la négociation, que l’empereur consentit à faire une paix séparée; le directoire lui écrivit directement pour la lui offrir, et autorisa le plénipotentiaire français à indiquer les sécularisations en Allemagne, comme un moyen d’indemniser l’empereur des cessions que la république exigeait (2). La proposition de l’armistice par le directoire était certainement sincère; car en même temps qu’on Luxembourg, dit-il, adressa au général Clarke des instructions pour la paix qu’il était autorisé à signer, moyennant 1° que l’empereur renoncerait à la Belgique et au pays de Luxembourg ; 2° qu’il reconnaîtrait à la république la cession de Liège et autres pelits enclaves qui avaient été faits; 5° qu’il promettrait son influence pour donner en Allemagne une indemnité au stalhouder; que, de son coté, la république restituerait à l’Autriche tous ses Etats d’Italie. » « Ces conditions n’obtinrent pas l’approbation de Napoléon, qui croyait que la république avait le droit d’exiger les limites du Rhin et un Etat en Italie , qui nourrit l’influence française et maintint dans sa dépendance la république de Gènes, le roi de Sardaigne et le pape ; car l’Italie ne pouvait plus être considérée comme avant la guerre. Si jamais les Français repassaient les Alpes, sans y conserver un auxiliaire puissant, les aristocraties de Gênes, de Venise et le roi de Sardaigne, se serreraient à l’Autriche par des liens indissolubles, influencés par la nécessité de garantir leur existence intérieure contre les idées démocratiques et populaires. Venise, qui, depuis un siècle, n’élait d’aucune influence dans la balance de l’Europe, éclairée désormais par l’expérience et le danger qu’elle venait de courir, aurait de l’énergie, des trésors et des armées, pour renforcer l'empereur et comprimer les idées de liberté et d’indépendance de la terre-ferme. Pontifes, rois, nobles, se réuniraient pour défendre leurs privilèges et fermer les Allies aux idées modernes. » (Ibid.)