182 HISTOIRE HE VENISE. che se garantirent leurs possessions actuelles dans la Péninsule. Tranquille de ce côté, sans craintes du côté des Turcs, que des révoltes dans les provinces de Géorgie, de Valachie et de Chypre occupaient assez, la république put se livrer aux soins de son commerce, pendant les dix années du règne de son doge François Loredan, qui avait succédé à Pierre Grimani, en 17K2. Cependant il faut considérer que ce système de neutralité auquel elle s’était fixée, devait lui faire négliger sa marine, par conséquent la protection de son commerce cl le maintien de son autorité dans ses colonies. On en fit l’épreuve en 1735; il y eut une émeute dans la ville de Caltaro, contre le gouverneur vénitien. Une imposition établie au profit des nobles en fut la cause. Ces troubles furent apaisés; mais une partie de la population, mécontente, émigra sur le territoire ottoman. En 1700, en 1771, les mêmes causes occasionnèrent des troubles à Céphalonie ; le comte Metaxa, l’un des principaux de l’île, qui s’était mis à la tête des rebelles, fut exécuté à Venise, et beaucoup de ses complices furent étranglés ou noyés en secret. Vers le même temps, en 1738, les suffrages du sacré collège élevèrent sur le trône pontifical un cardinal vénitien, Charles Rezzonico, évêque de l’adouc, qui prit le nom de ClémentXUI.Cette élection, qui ne prouvait nullement le crédit de la république, y fut reçue avec des transports de joie extraordinaires; et le gouvernement, qui cherchait toutes les occasions d’entretenir ses peuples dans l'illusion où ils étaient sur sa considération chez l’étranger, célébra cet événement par des réjouissances solennelles. Venise ne disposait pas, comme les rois catholiques, d’un certain nombre de chapeaux, et la république ayant beaucoup perdu de sa considération au dehors, les papes, depuis quelque temps, avaient négligé d’appeler des protégés de Saint-Marc dans le sacré collège. C’est ce qui lit dire plaisamment au peuple, à l’occasion de l’exaltation de Rezzonico : « Les chapeaux ont été rares chez nous pendant longtemps, mais à présent nous avons le chapelier. >• Clément XIII, croyant faire quelque chose d’agréable à ses anciens concitoyens, offrit à la république d’instituer à. Saint-Pierre de Castello, un chapitre noble de douze chanoines ; mais le gouvernement ne jugea pas utile d’avoir douze patriciens de plus dans la dépendance de la cour de Rome. Il y avait déjà un chapitre de vingt-quatre patriciens à Saint-Marc ; dans une délibération qui eut lieu à leur sujet, Jean-Marc Calbo, membre du conseil des Dix, ayant parlé d’uirfi manière trop favorable aux prétentions du saint-siège, fut exile par les inquisiteurs d’État. Marc Foscarini succéda à François Loredan, en 1762. Les correcteurs des promissions ducales qui furent nommés pendant cet interrègne, frappés apparemment de l’état de langueur de la république, et l’attribuant en partie à ce que la puissance ducale était énervée, firent une chose inouïe depuis plusieurs siècles ; ils proposèrent, et le grand-conseil adopta sans beaucoup de difficultés, quelques règlements qui tendaient à augmenter un peu l’influence du doge sur l’administration. A défaut d’uc-casions pour illustrer son règne, Foscarini avait élevé un monument à la gloire littéraire de sa patrie, et mérita d’être compté lui-même au rang des plus savants écrivains. 11 n’occupa le trône ducal que dix mois, et y fut remplacé par Alvise Monccnigo. On voit combien l’histoire des Vénitiens fut stérile pendant cet intervalle. Il faudrait en féliciter ce peuple, si ce long repos n’eùt été le sommeil précurseur de la mort. C’est beaucoup, sans doute, d’étre tranquille, mais ce n’est pas tout; il faut encore que cette tranquillité soit fondée sur une juste confiance dans scs moyens de sécurité : pour se dérober au péril, il ne suffit pas de fermer les yeux (1705). Venise était tellement avare des moindres sacrifices que pouvait exiger sa sûreté, ou tellement alarmée de ses moindres rapports avec d’autres puissances, quand ils pouvaient l’entraîner dans des discussions avec l’étranger, qu’en 1700, son alliance avec les Grisons venant à expirer, elle ne voulut pas la renouveler, et aima mieux laisser à ce peuple un sujet de ressentiment, que de s’exposer à prendre part dans ses querelles intestines ou extérieures. XVII. On peut juger à quel point d’abaissement cette fière république était descendue; ce n’était pas assez d’endurer sans murmure les avanies des Turcs, il restait à supporter les insultes des pirates. Ceux de üulcigno surprirent le château de Prévésa, sur la côte d’Albanie, et en dérobèrent les canons; ceux d’A Iger débarquèrent dans l’île de Cérigo. Les puissances d’Italie et l’Espagne, fatiguées de tous ces outrages, avaient formé une ligue, dont l’objet était de bombarder les repaires de ces brigands ; mais ce projet resta sans exécution, malgré l’exemple que donnèrent les Anglais, et ensuite la France, dont les escadres forcèrent les deys d’Alger et de Tripoli à des répara;ions et à des excuses. Les Vénitiens n’osaient même poursuivre ces pirates sans la permission de la Porte. Ils l'obtinrent, c’est-à dire qu’ils l’achetèrent. Le grand-seigneur trouva bon que ces corsaires fussent réprimés, pourvu que ce ! fut hors de la portée du canon de ses ports. ! Les pirates barbaresques étaient encouragés,non-