PIÈCES JUSTIFICATIVES. 375 (Juclion, et leur silence autorisait à soupçonner qu'ils rangeaient cette prétendue histoire parmi les productions frivoles. Cependant l'intérêt de cette lecture fit taire tous les scrupules ; l’auteur mourut en paix, et son livre resta en possession de la faveur puhlique. Longtemps après, lorsqu’on en entreprit l’examen,onvoulut remonter jusqu'aux sources où l'historien avait puisé. Il était facile de remarquer dans son ouvrage quelques détails, dont son imagination avait pu l'embellir. Jl y avait plusieurs inexactitudes. On releva enfin un anachronisme, dont la découverte parut avoir toute la force d’une démonstration. L’auteur avait dit que l’entreprise conçue par le marquis de Bedemar, concertée avec le duc d'Os-sone, et confiée aux capitaines Jacques Pierre et Renault, était sur le point d’éclater, lorsqu’un des conjurés, nommé Jaflier, ayant assisté à la cérémonie des épousailles de la mer, qui avait lieu le jour de l’Ascension, fut si ému du spectacle de ce ■peuple, de ce sénat, se livrant à la joie, dans la pompe et la séeurilé d'une fête, à la veille du jour où leur ville allait être livrée aux flammes, qu’il ne# put résister à ses remords, et courut révéler la conjuration au conseil des Dix. On supputa (I) qu'en 1018, la solennité de l’Ascension avait dù avoir lieu le 24 mai. Or, la conjuration était découverte et punie depuis le 14, divulguée depuis le 21, cl il y en avait déjà, comme on l'a vu, une relation imprimée, L'auteur était donc ici convaincu d’inexactitude. Celle erreur de dale n’aurait prouvé que la fausseté d'une circonstance accessoire du récil; niais il était naturel d'en conclure que l’historien n’avait pas eu sous les yeux, comme il s’en vantait, des mémoires originaux ; car apparemment ces mémoires auraient porté des dates précises. Il annonçait avoir travaillé d'après quatre pièces principales, qui existaient, disait-il, à Paris, à la bibliothèque du roi, savoir : « La grande dépêche du « capitaine Pierre au duc d’Ossone, le plan de Pen-« treprise, la déposition de Jaffier, et le procès cri-« minci des conjurés. » On pouvait lire dans l’histoire de Nani, que le sénat avait tout dissimulé profondément, il tenalo rolle profondamente dissimularlo; el dans Capriata, qu'on avait enseveli celte affaire dans le pins profond silence, que les pièces du procès avaient été soigneusement supprimées, dissimulnrono con profondo silenzio. Gli alli pubblici délia causa furono con molla segrelezza soppresii. Ouclle apparence (1) Dissertation Ue G rosie y sur Y Histoire de la conjura-• lion de Venise par Saint-Réal. qu'à une époque encore si voisine de l'événement, le conseil des Dix eut été si facile à laisser prendre communication de cette procédure? C’était déjà une chose assez extraordinaire qu’une procédure secrète du gouvernement de Venise se trouvât à Paris, et dans une bibliothèque ouverte au public. On ne s'avisa point de l’y chercher; ce ne fut qu’en 175G, que Grosley s’informa si les pièces que l’historien disait avoir eues sous les yeux, existaient réellement dans la bibliothèque du Roi, cl il publia la réponse du savant qui en avait l'administration. »Voici, lui écrivait M. Melot, de l'académie des u inscriptions, le résultat des recherches que j’ai u faites jusqu’ici. Par une lettre de SI. Rruslarl de « Iiroussin à M. de Réthunc, datée de Venise, le u 22 mai 1018, on voit qu'on était alors à Venise « dans une grande alarme, au sujet d'une conspira-« tion découverte depuis quelques jours ; que ce-» pendant quelques personnes traitaient celle cnlrc-•> prise d’imaginaire. On apprend par une autre « lettre écrite de Venise, le 0 juin 1018, par 51. de ■ Léon au même M. de Réthune, que celle conjura-« tion se réduisait à l'accusation intentée contre u deux ou trois misérables Français, qui, sans plus « grande forme de procès (ce sont les termes de la « lettre), avaient été pendus ou jetés à la mer. J’ai « égaré l’extrait d’une lettre écrite de Venise dans « le même temps. On se propose d’y prouver par « des alibi la fausseté de celle nouvelle, qui se débi-« tait dans toute l'Europe. Mais quelque attention « que j’aie eue, depuis que je m’occupe à vérifier ee u qu'a avancé M. de Saint-Réal, dans l'avertissement « qu’il a mis à la tête de son ouvrage, je n'ai pu jus-« qu'ici trouver une seule des pièces qu’il cite. » Si les conjurés avaient été expédiés sans forme de procès, l'abbé de Saint-Réal n'avait pu voir la déposition de Jallier, ni la procédure. Si, quelques jours après la découverte de celte prétendue conspiration, on doulail à Venise de sa réalité, il fallait bien que le sénat n'eût pas fuit de ces actes extérieurs, qui u’auraieut pu laisser aucun doule aux plus incrédules, comme l'enlèvement de deux conjurés chez un ambassadeur, la visite du palais du marquis de Bedemar, l’inventaire de ce qu'on y avait trouvé, cl l’espèce d’interrogatoire que Saint-Réal lui fait subir devant le doge. Après celle lettre de M. Melot, il était dillicile de croire que l'abbé de Sainl-Réal eût puisé à la bibliothèque du roi les renseignements d'après lesquels il avait écrit sa narration. Les critiques crurent avoir suffisamment établi que la sincérité de cet écrivain était fort suspecte. Mais ces critiques eux-mêmes avaient apporté dans leurs recherches cette légèreté qu'ils reprochaient à l'historien. Non-seulement les pièces citées par