LIVRE XXXIX. 303 Les commandants des colonies étaient investis d’un pouvoir encore plus absolu. S’il se trouvait dans Chypre ou dans Candie, disent les statuts, quelque patricien ou autre personnage dont la conduite donnât lieu de penser qu’il vaudrait mieux qu’il fût inort, les généraux sont autorisés à lui faire ôter la vie secrètement, pourvu que dans leur conscience ils jugent cette mesure nécessaire, et sauf à en répondre devant Dieu. Mais il y avait quelque chose de plus monstrueux encore dans l’autorité de ce tribunal ; c’était qu’in-slilué pour maintenir à tout prix la tranquillité de l’État, il employait les moyens violents qu'il avait à sa disposition, pour altérer journellement la constitution de la république. l*ar cette constitution , la direction des affaires politiques était confiée au collège sous les ordres du sénat. A lieu do laisser suivre cette marche, les inquisiteurs d’État avaient arrêté que, dès que le sénat aurait fait la nomination d’un nouvel ambassadeur, ils le manderaient, pour lui ordonner de correspondre avec eux sur les matières secrètes et les plus importantes, sans en faire mention dans les dépêches adressées au gouvernement, le tribunal se réservant déjuger ce quulevrait en être communiqué au collège, ou de donner lui-même des ordres selon les occurrences. Quelquefois le tribunal et le collège se concertaient, pour prendre une mesure politique, sans le concours du sénat, quoiqu’elle fût de sa compétence; parce que, disait-on, le grand nombre des votants peut empêcher ou rendre pernicieuse la plus sage délibération. Dans ce cas, les sages du collège expédiaient les ordres; et les inquisiteurs d’État, s’ils les approuvaient, y ajoutaient une injonction pour que les ambassadeurs s’y conformassent, sans s’occuper de leur irrégularité. Ces ambassadeurs, au retour de leur mission, devaient présenter au sénat un rapport sur les affaires qu’ils avaient eu à traiter dans leur mission. Le tribunal les faisait venir, et corrigeait leur rapport avant de leur permettre de le présenter. Les lois garantissaient à tous les nobles le droit 'de voter librement dans les conseils. Elles faisaient aux correcteurs et aux avogadors un devoir spécial de proposer les changements qu’ils jugeraient salutaires. Voici comment l’inquisition d’État mettait obstacle aux innovations. « Lorsqu’un patricien, disent les statuts, haranguant dans le sénat ou dans le grand-conseil, s’écartera de l’objet de la discussion, et entamera des questions qui peuvent porter préjudice à l’intérêt public, l’un des chefs du conseil des Dix lui ôtera à l’instant la parole. S’il se met à disputer sur l’autorité du conseil des Dix, et à vouloir lui porter at- teinte, on le laissera parler sans l’interrompre : ensuite il sera immédiatement arrêté; on lui fera son procès, pour-le faire juger conformément au délit ; et si on ne peut y parvenir par ce moyen, on le fera mettre à mort secrètement. « Si quelque correcteur des lois était tenté de faire des propositions pour réduire l’autorité du sénat ou du conseil des Dix, on lui conseillera de s’en abstenir ; on lui fera entendre que la multitude de la noblesse n’est pas capable de concevoir ni de procurer les véritables intérêts de l’Elat, et que par conséquent il faut éviter de lui donner occasion de délibérer sur des matières scabreuses. On chargera ses collègues de s'opposer à son dessein; et si on apprend qu’il y persiste, on lui donnera un emploi qui l’éloigne, afin de lever cette pierre de scandale. « Si un avogador entreprend la censure des actes du conseil des Dix devant un autre conseil, il sera mandé parles inquisiteurs d’État; là, 011 l’avertira qu’il ne convient point aux intérêts de la république que de telles censures soient provoquées; parce que ce n’est pas à la multitude sansexpérience de juger les opérations des hommes consommés; on ajoutera que, si quelque acte du conseil des Dix lui parait susceptible d’observations, il peut les soumettre à ce conseil lui-même, qui réformera scs propres actes, s’il y a lieu. h Après cette admonition , si l’avogador persiste à vouloir porter l’affaire devant le grand-conseil ou devant le sénat, prétendant que c’est un droit de sa charge, on lui représentera que la loi qui a institué les avogadors, n’a pu soumettre les actes du conseil des Dix à leur censure, parce que ce conseil n’existait pas encore. Si, malgré cette observation, il s’obstine dans son dessein, on lui ordonnera de s’en désister et de garder le silence. Si enfin il résiste à celte injonction, on exigera qu’il déclare par écrit, avant de sortir, devant quel conseil il compte por--ter sa réclamation. On ne procédera point contre lui pour le moment, mais on chargera quelqu’un des surveillants de l’inquisition de lui chercher querelle, non pas en sa qualité d’avogador, mais sous un nom supposé, et comme à un homme accusé de quelque délit. L’affaire sera portée devant les chefs du conseil des Dix : ceux-ci décerneront le mandat d’arrèt contre l’avogador, toujours comme homme privé, et sans faire aucune mention de son obstination à vouloir accuser le conseil. Les inquisiteurs d’État donneront avis des véritables circonstances de l’affaire au doge et à quelques membres du conseil des Dix, principalement à ceux qui auront siégé à l’inquisition d’État, afin qu’ils concourent, par leurs suffrages, à faire prononcer Parreslation du téméraire. Ainsi, mis en jugement comme homme