314 HISTOIRE DE VENISE. bliothèques. Les palais des Contarini, des Nani, des Molino, des Pisani, des Zeno, des Querini, des Cor-naro, des Thiepolo^ des Grimani, des Loredan, et les maisons de plusieurs particuliers devinrent des musées ouverts aux hommes studieux. On a lu tous ces noms dans l'histoire, on aime à les retrouver parmi ceux des bienfaiteurs des lettres et des arts. Ce noble luxe, qui se piquait de rassembler tous les monuments élevés au savoir, devait se développer dans une ville où l’art de l’imprimerie, dès sa naissance, avait été porté presque à sa perfection. Venise se vante d’avoir vu sortir de scs presses le premier livre qui ait été imprimé en Italie; il est certain du moins qu’aussitôt que cet art eut été découvert, le gouvernement vénitien attira dans sa capitale Jean de Spire, qui constata son droit à l’honneur d’avoir importé l’imprimerie à Venise, par ces vers, qu’il plaça à la tête de son édition des Epftres familières de Cicéron, publiée en 1469 : Primus in Adriaca formis impressit acutis Urbe libi os Spiræ genitus de stirpe Joannes. Jean fut bientôt secondé par Wandelin son frère. Celui-ci fut tellement reconnaissant du traitement qu’il recevait dans sa patrie adoptive, qu’il consigna dans plusieurs de ses éditions le serment de ne la point quitter, en ajoutant à son nom une devise qui se terminait par ces mots : IJadriacâ morabitur urbe. Dès la même année, ou lout au plus tard dès l’année suivante, le Français Nicolas Janson vint établir ses presses à Venise (1), et on assura le succès de son établissement par un privilège qu’il partagea avec Wandelin. Ce privilège cependant n’empêcha pas qu’un grand nombre d’imprimeurs étrangers n’accourus-sent dans cette capitale, attirés par les manuscrits précieux qui existaient dans la bibliothèque de l’administrateur supérieur de rétablissement ; l’autre, plus spécialement chargé de la partie littéraire, était choisi parmi les hommes distingués dans les lettres. Voici la liste des bibliothécaires honoraires dans le courant du dernier siècle : L’historien Nani. Sylvestre Valier, qui fut doge. François Cornaro. Jérôme Venicro. Laurent Thiépolo. Marc Foscarini, l'historien, qui fut doge. Avise Moncenigo, qui fut doge. Jérôme Grimani. Jérôme Ascanio Justiniani. Pierre Contarini. François Pesaro. Zacharie Valaresso. Celte succession île noms illustres prouve que celte charge était considérée comme l’une des plus honorables de la république. Saint-Mare, par le grand nombre de savants qui pouvaient en éclaircir ou en épurer le texle, et par la munificence d’une noblesse éclairée. On en compte jusqu’à cent soixante-quatre enlre Wandelin de Spire et Alde-Manuce, c’est-à-dire dans un intervalle de vingt-cinq ans. Les plus dignes d’être cités sont Jacques de Ilubeis, dont le nom français était Jacques des Rouges, Jean de Cologne, Jean Menthen, François Renner de Heilbrun, Octave Scotti de Monza, Jean Ilerbelot, dit le Grand, de Silingen-stadt. Dès leurs premiers essais, Wandelin et Janson perfectionnèrent les caractères. On s’était servi, pour les éditions que les inventeurs de l’art avaient publiées en Allemagne, de lettres demi-gothiques : le goût pur de ces nouveaux imprimeurs leur fit préférer les lettres rondes. Ce perfectionnement donna aussitôt une grande réputation aux presses vénitiennes; et les imprimeurs des autres villes, en publiant de nouvelles éditions, eurent soin, pour sc concilier la faveur publique, d’annoncer qu’elles étaient faites avec des caractères fondus à Venise : ïmpressum caracteribus vendis. On rendait cet hommage à la supériorité des fondeurs vénitiens dès 1492. Janson et Jean de Cologne paraissaient avoir eu la plus grande part à ce perfectionnement. Cette activité de l’imprimerie naissante fit jouir le monde savant d’un grand nombre d’ouvrages, dont les principaux, après la Bible, furent les histoires de César, de Justin, de Suétone, de Tacite; les Vies de Plutarque, traduites en latin ; plusieurs ouvrages de Cicéron, les Institutions de Quintilien, et les meilleurs poètes latins. La plupart de ces imprimeurs n'étaient pas seulement d’habiles artistes, ils étaient encore des savants laborieux. Un homme qui devait les effacer sous ce double rapport, croissait dans la petite ville On remarque sur l’autre liste des noms qui ont aussi leur illustration. L’Ecossais Gaultier Lcitli, dont Montfaucon et Mabillon ont vanté le savoir ; Marc-Antoine Maderô, de Candie, mathématicien ; Antoine Marie Zauetti, savant helléniste; Et enfin Jacques Morelli, connu dans toute l’Europe par son érudition. Celui-ci n’a pas été seulement le conservateur de la bibliothèque de Si-Marc : il en a été le bienfaiteur par la collection de manuscrits qu’il lui a léguée. (1) Lacaille, dans son JHst. de l’imprimerie, dit que Janson s’établit à Venise, du temps du duc liarbarigo. Il fallait dire Christophe Moro, car Marc Barbarigo ne monta sur le trône qu’en 1485, et, de l’aveu de Lacaille lui-méme, Janson avait publié des éditions à Venise, dès l’année 1470. L’histoire de son imprimerie a a fourni la matière d’un gros volume à Sardini de Lacques.