301 HISTOIRE DE VENISE. privé, poursuivi comme prévenu d’un délit, il se trouvera suspendu de scs fonctions, et dépouillé du droit de sa charge. S’il se présente de lui-même, et vient se constituer prisonnier, on fera traîner la procédure, jusqu’au moment où ses fonctions devront expirer, et ensuite il en sera du jugement de l'affaire ce qu’ordonnera la raison d’État. » Telles étaient les lois que faisait, sans les publier, l’autorité chargée de la haute police, autorité à laquelle est attaché ce malheur, que, lorsqu’elle punit, il semble que ce n’est pas la loi qui frappe, mais le magistrat. Cette observalion est de Montesquieu. En invoquant si souvent l’autorité de ce grand homme, je sens que je réveille, sans le vouloir, les regrets que le lecteur doit éprouver, lorsqu’il se rappelle que nous avons perdu un écrit où le gouvernement de cette république de castors était tracé par cette même main qui nous avait développé les causes de la grandeur et de la décadence de Rome. Les citations que j’ai faites des statuts de l’inquisition d’État, diminuent un peu l’importance que l’on pouvait attachera la qualité de membre decetle noblesse souveraine que ses propres mandataires traitaient avec tant de mépris. Ils prouvent que la souveraineté même ne suffit pas pour garantir la sûreté, la liberté, et que les hommes n’ont point inventé de nom qui puisse convenir au gouvernement de Venise (1). XVII. Après la lecture des statuts de l’inquisition d’État, on a droit de s’étonner qu’elle demandât des conseils, et qu’on en trouvât encore à lui donner. C’était l’office de Paul Sarpi, qui, sous l’habit religieux, avait un de ces esprits étendus, une de ces âmes fermes, sur lesquelles les habitudes de l’éducation, les opinions du siècle, les préjugés de la profession, ne peuvent rien. Austère dans ses mœurs, profond dans la doctrine, habile dialecticien, il osa juger et combattre les prétentions de la cour de Rome, et poussa même l’indépendance jusqu’à se faire soupçonner d’hérésie. Dans les démêlés que la république eut avec le pape l’aul V, ce fut un singulier spectacle de voir un moine, sans se séparer de l’Église, marquer les limites de l'autorité du saint-siège, et rassurer, par des écrits pleins de force et de sel, les consciences alarmées par les cen- (1) On dit que Robespierre avait fait demander à une personne attachée au département des affaires étrangères, un mémoire sur le gouvernement de Venise. Cela est possible, mais cette demande prouverait son ignorance. 11 ne trouvait en France ni les éléments de l’oligarchie, ni «n caractère national assez patient pour supporter longtemps la tyrannie et assez constant pour conserver les mêmes formes pendant des siècles. (2) L’honneur de l’invention n’appartient pas à Fra Paolo pour cette maxime ; elle était pratiquée par les tribunaux sures. Il fut blessé par des assassins de vingt-trois coups de stylet ; il fut condamné comme hérétique, mais tous ces périls ne firent qu’éprouver son courage. Le gouvernement vénitien, qui l’avait employé d’abord comme théologien, pour la défense de ses droits, reconnut bientôt en lui un de ces génies inébranlables, qui, lorsqu’ils se sont proposé un but, y marchent sans s’embarrasser de ce qu’il peut leur en coûter à eux-mêmes ou aux autres. On le consulla sur les affaires d’État, et il porta dans l’examen de ces matières la même indépendance des préjugés et des principes reçus. Il consigna dans un écrit, d'autant plus remarquable qu’il est fort court, les maximes qui lui paraissaient les meilleures pour garantir la durée du gouvernement de Venise. En voici quelques-unes. Je ne crains point de prédire, dit-il, que cette république n’éprouvera jamais le sort commun à toutes les autres; c’est-à-dire qu’on n’y verra jamais l’autorité passer de beaucoup de mains dans un petit nombre, et du pelit nombre à un seul. Je ne crains points les grands ; l’antique génie de la république me rassure : ils se surveillent entre eux, non-seulement de maison à maison, mais de parent à parent. L’émulalion, la rivalité m’en répondent : il n’y en a pas un qui voulût de son frère pour roi. t Le défaut de notre gouvernement, c’est d’être trop nombreux. 11 fera bien de pousser, par toutes sortes d’artifices, le grand-conseil à déléguer son autorité au sénat et au conseil des Dix. Mais il faut que ces changements s’opèrent d’une manière insensible, et qu’on ne s’en aperçoive qu’après qu’ils sont consommés. Il faut en convenir, ce grand-conseil sent le peuple; aussi est-il sujet à des délibérations précipitées, et je m’élonne que nos pères ne se soient pas prévalus de la simplicité des anciens temps, pour faire quelques pas de plus, et échapper à la tyrannie des petits. Ces petils, il importe de les tenir le plus bas qu’on peut. La vipère ne peul lancer son venin quand elle est engourdie. Je voudrais qu’on évitât de condamner des nobles à mort, quelques coupables qu’ils pussent être (1), surtout à une mort publique. Il vaut mieux les con- de Venise un siècle avant d’étre professée hautement par cet écrivain. Voici ce que raconte un magistrat nommé Jean Rembo dont M. Morelli fait mention dans sa dissertation sur les voyageurs vénitien! peu connus.» Paulo post creatus fui præfcclus justitiæ novæ, ubi more civitatis (nam præva-luit legibus) oportebat nobiles majoris consilii, quamvis nocentes, absolvere; alios vero omnes secundum leges damnare. Quadragiuta quinque diebus in eo magistratu absolutis, ab ilia me iniquitate abdicavi. »