LIVRE XXXVI. £01 fut dans ce voyage d’Italie que les cours du Nord et celle de Naples, conjurées contre la France, parvinrent à triompher du caractère irrésolu de l’empereur Léopold, et jetèrent les fondements de cette coalition que vint bientôt réaliser le traité de Pil-nitz. VIII. Immédiatement après son départ de Milan, j on vit ce prince arriver dans un château de l’élec- ! leur de Saxe, où le roi de Prusse l’attendait. Toute l’Europe porta les yeux sur l’ilnitz. Dans les fêtes dédiées aux illustres étrangers, des emblèmes brillants promettaient la paix au monde; on y lisait : Concordia augustorum, félicitas temporum, paea-tus orbis, présages trompeurs, car il était impossible de ne pas voir que celte réunion était menaçante, d'autant plus que, dans le même moment, la médiation de la Prusse el de l’Angleterre venait de terminer les différends qui existaient entre l’Autriche et la Turquie (1791). Fox, dans le parlement d’Angleterre, dénonça les négociateurs de ce traité, comme les instigateurs d’une guerre « dont, après tout, disait-il, d’autres « que les peuples sont appelés à recueillir le fruit. » Quoique les puissances qui venaient de concerter à Pilnilz un plan pour imposer des lois à la France, se flattassent de ne pas éprouver une résistance générale de la part de la nalion , elles sentaient que le secret et le temps étaient des éléments nécessaires à l’exécution de leurs projets ; mais quand l’éclat des conférences ne les aurait pas divulgués, ils ne pouvaient manquer de l’être par l’indiscrète joie de celte partie de la nation française qui brûlait de rentrer dans sa patrie, à la suite des armées de la Plusse et de l’Autriche. Des intérêts bien différents faisaient que cette impatience de voir commencer la guerre était partagée par deux cabinets dont l’influence était d’un tout autre poids que celle des Français expatriés. Cette coalition dont l’Angleterre et la Russie avaient été les instigatrices, venait d’être formée. Elle avait pour base une conformité de sentiments, c’est-à-dire la haine, la crainte et l’ambition ; mais si les haines étaient égales, les alarmes ne pouvaient être les mêmes; et les ambitions devaient se trouver opposées. Il n’était pas facile de se mettre d’accord sur le système des opérations, sur le partage des périls, des sacrifices, et encore moins des avantages qu’on se flattait de recueillir. IX. La Russie, qui n’avait rien à espérer du démembrement de la France, n'avait pas non plus à redouter la propagation des idées qui fermentaient dans le midi de l’Europe; mais, pour avoir un autre objet, son ambition n’en était pas moins ardente. Elle voulait écraser les Turcs et consommer l’enva- ( hissement de la Pologne. Pour pouvoir le faire sans I contradiction, il fallait occuper ailleurs la Suède, la Prusse, l’Autriche, l’Angleterre, et leur laisser entrevoir des agrandissements, qui serviraient de prétexte à ceux qu'elle méditait elle-même. L’Angleterre était loin de présenter le spectacle de l’unanimité de sentiments dans sa population , même dans ses conseils; mais cette division était précisément ce qui faisait désirer ardemment à ceux qui tenaient le timon de l’F.tat, de voir éclater une guerre dans laquelle leur île ne devait courir que de médiocres dangers, et qui pouvait offrir une si riche proie; une guerre, dont les revers, comme les succès, feraient cesser les discordes intestines. Il fallait rallier toute la nation par le seul sentiment qui fût unanime, la haine contre la France; il fallait qu’on s’indignât des efforts des Français pour conquérir la liberté, parce qu’on en jouissait soi-même et qu’on lui devait des moyens de puissance et de bonheur; il fallait enfin que la destruction d’un peuple devînt un vœu populaire. Les trois puissances allemandes, c’est-à-dire la Prusse, la fédération germanique et l’empereur, étaient dans une tout autre position. La Prusse conservait éternellement des vues sur la Lusace, sur Thorn etDantzig, qui devaient la rendre maîtresse du cours et du commerce de la Vistule; mais l’ambition de la Russie et de l’Autriche la rendait circonspecte, et lui conseillait de ménager ses forces, même en combattant à leurs côtés. L’empire et l’Autriche étaient menacés de plus près par la révolution française. Déjà des princes allemands, possessionnés en Alsace, avaient à regretter la perte de leurs îiefs; mais ce n’étaient qu’après d’interminables formalités que le corps germanique pouvait être mis en mouvement ; et quant à l’empereur, au sortir d’une guerre ruineuse, il n’était pas naturel que son caractère modéré et ami de la paix se démentît, pour la première fois, par une entreprise dont les résultats étaient incalculables. Ainsi, parmi ces cinq puissances principales, le corps germanique ne pouvait se déterminer que dans un long délai, et ne pouvait agir que faiblement; l’empereur ne désirait pas la guerre, et se trouvait déjà ruiné par celle qui venait de finir ; la Prusse avait à surveiller l’Autriche et la Russie, et devait ménager des forces qu’il lui était plus difficile qu’à toute autre puissance de réparer ; les deux cabinets instigateurs de la guerre se promettaient d’en profiter, en y prenant le moins de part possible; et sans examiner si le moment était favorable, si les coalisés étaient prêts, s’il n’était pas utile d’attendre l’époque prochaine où il y aurait en Franco plus de divisions el moins de ressources, l’Angle-