108 HISTOIRE DE VENISE. la ruine de ceux qui l'avaient provoquée. Je passe sous silence les intrigues cl les crimes horribles par lesquels le tiers-état est devenu la nation. « Je passe à la constitution, qui n’est pas encore achevée, et que je trouve indéfinissable. Elle n’est ni monarchique, puisqu’on ôte tout au monarque; ni démocratique, puisque le peuple n’y est pas législateur; ni aristocratique, car l’aristocratic est un crime. Cette constitution est un monstre qui confond tous les pouvoirs, qui rassemble deux vices qu’on a vus se succéder, mais jamais se réunir, le despotisme et l’anarchie. L’assemblée nationale a commencé par s’attribuer toutes les délégations de la souveraineté, elle l’exerce sur la nation elle-même. « Elle a mis à la tête de la constitution une déclaration des droits de l'homme, avertissant de leurs droits ceux qu’elle devait instruire de leurs devoirs, confondant l’état naturel avec l’état civil, et l’homme sauvage avec l’homme en société. De la souveraineté du peuple, vraie abstractivement, mais inexécutable dans la pratique, on a déduit le dogme de l’égalité absolue entre les hommes, laquelle n’existe pas même dans l’état de nature ; pour la réaliser, il faut tout détruire : aussi a-t-on aboli les ordres, les corps, les rangs intermédiaires, qui formaient les anneaux de la chaîne qui liait les sujets au souverain. Cette idée chimérique, mettant le désordre dans les têtes, a porté l’indiscipline dans l’armée et l’insubordination partout. Le système de l’égalité absolue étant incompatible avec la noblessse, 011 a détruit la noblesse; et, comme sans noblesse il 11c peut exister de monarchie, il se trouve qu’on a détruit la monarchie elle-même, pour lui substituer une démocratie royale, c’cst-à-dirc un gouvernement qui n’a pas de nom. u On a enlevé au roi toute coopération dans la législation. On ne lui laisse qu’un veto suspensif, nul après un court délai. On le prive de toute influence dans l’administration de la justice. On le dépouille des droits inhérents depuis quatorze siècles à sa couronne, même de ses domaines patrimoniaux. « On a fait main-basse sur la juridiction ecclésiastique, sur les propriétés du clergé : on a rejeté l’autorité spirituelle du chef de l’Eglise et son intervention. Les ecclésiastiques, privés de leurs biens, ont été réduits à la condition précaire de salariés. On a armé une garde nationale, c’est-à-dire un million d’hommes. On a détruit jusque dans ses racines l’odieux régime féodal. On a aboli les constitutions des provinces, les privilèges des corps et des individus. Enfin 011 a détruit les parlements, qui avaient demandé les étals-généraux. «Voilà quelle est, dans ses points principaux, cette constitution que je vous présente, avec une collection de lois, utiles en partie, en partie incroyables, contradictoires, cl qui, sous le litre de monarchie, établissent une forme de gouvernement démocratique, qui pourrait à peine se réaliser dans un petit canton, mais dont la durée est impossible dans un royaume qui a vingt-quatre millions de sujets. L’assemblée nationale, qui s’est rendue permanente, oubliant qu’elle n’est que la déléguée de la nation, veut en être la souveraine; cette assemblée, dis-je, s’est emparée de tous les pouvoirs : pourquoi? parce qu’on manque d’un pouvoir modérateur, seule sauvegarde de la liberté publique. « C’est en rappelant sans cesse, en exagérant les torts de l’ancien gouvernement, en offrant l’appât d’une liberté mensongère, en supposant des complots, en armant les pauvres contre les riches, que celte assemblée cherche à dissimuler les maux présents, à se faire croire nécessaire, et à entretenir l'effervescence du peuple, qui pourrait finir par demander la loi agraire: idée absurde, impraticable, mais qui n’en fut pas moins énoncée l’année dernière dans un petit canton, où heureusement elle fut repoussée par le bon sens de quelques paysans. Celte assemblée, qui délibère en public, veut connaître et discuter les affaires politiques, et elle pousse le délire jusqu’à se croire la législatrice du monde entier. « Il est incontestable qu’en France les abus de l’administration sollicitaient une réforme de la part des représentants de la nation. Des rois chasseurs font nécessairement des ministres despotes. Mais aulre chose csl de corriger les abus, aulre chose de renverser le gouvernement lui-même dans scs fondements et d’en élever sur ses ruines un nouveau, qui ne peut convenir à un grand empire. «Il reste à examiner les opérations de l’assemblée relativement aux finances, objet premier de sa convocation. Appelée pour combler le déficit, ce déficit est la seule chose qu’elle n’ait pas détruit, elle l’a augmenté. » Ici l’orateur entre dans les détails des revenus et des dépenses; puis il ajoute : « Il ne reste pas d’autre moyen qu’une augmentation d’impôts, mais 011 a promis au peuple de le dégrever, et comment soumettre à de nouvelles charges un peuple armé ? Les biens du clergé et les domaines de la couronne, qu’on appelle aujourd’hui domaines nationaux, seront encore pendant quelque temps une mine à exploiter, et qui soutiendra le nouvel ordre de choses, d’autant que, par la création d’un papier-monnaie, qui a cours forcé et qui ne porte point d’intérêt, on a assuré la vente des biens nationaux; mais quand les biens auront été aliénés, les charges resteront; l'industrie et le commerce sont déjà paralysés. Un