I.IVRE XXVII. 53 turque était de cent cinquante galères, et on ne voulait pas s’exposer à la rencontrer, avant d’avoir reçu les renforts que l’Espagne et l’Italie faisaient espérer. Ces renforts dépendaient de la conclusion d’une ligue, que les ministres de la république et du pape négociaient vivement, mais pour laquelle la cour d’Espagne ne montrait pas la même chaleur. Puisque les Turcs ne parurent devant Chypre que le 1er juillet, il est évident que les Vénitiens, s’ils eussent mis moins de circonspection dans leurs opérations, auraient eu le temps de faire un voyage vers cette colonie, dans le courant de mai et de juin. Au lieu de prendre ce parti, ils restèrent dans le port de Zara. Seulement ils s’avancèrent, le 12 juillet, jusqu’à Corfou, pour être plus à portée de se joindre avec leurs alliés, qui devaient se réunir à Messine. Pendant ce temps-là le scorbut dévorait les équipages. II fallut mettre à terre les malades, et une partie de ceux qui ne l’étaient pas. Il fallut attendre, et aller chercher jusque dans les îles de ('Archipel, des recrues pour remplacer les hommes qu’on avait perdus, et dont le nombre s’élevait, dit-on, à près de vingt mille. Pendant cette funeste inaction, on reçut la nouvelle que la (lotte espagnole ne se mettait point encore en mouvement. L’amiral attendait de nouveaux ordres : en vain le pape lui écrivait pour presser son départ, il trouvait toujours de nouvelles excuses pour le différer. Il était inépuisable en prétextes. Enfin la nécessité de renforcer les équipages et de se rapprocher de l’ennemi, détermina le généralissime à se porter sur Candie, où il arriva le 4 août. La ligue n’était point encore signée. On obtint cependant, à force d’instances, le consentement de Philippe II pour que ses galères se joignissent à la flotte de la république. Elles parurent avec celles de Al allé et du pape,versla fin du mois d’août, et l’amiral espagnol, Jean-André Doria, prit le commandement de l’armée combinée. En arrivant à Candie, on apprit que les Turcs avaient profité de tous ces délais. VII. Nicosie, contre laquelle ils avaient dirigé leurs premiers efforts, était une place forte par sa situation, mais dont la circonférence très-étendue »uraitexigé desréparationsconsidérables ; elle avait précédemment jusqu’à neuf milles de circuit : quoique les ingénieurs vénitiens eussent réduit cette enceinte à trois milles, on avait négligé de mettre les fossés en bon état; de rassembler des approvisionnements, et au lieu d’une garnison expérimentée, pour défendre onze bastions, il n’y avait Que quinze cents hommes de troupes réglées italiennes, trois mille de milices, un corps de mille nobles, deux mille cinq cents bourgeois, et deux HISTOIRE DE VENISE.—T. II. . mille paysans, mais sans aucun usage du service, et presque tous armés de hallebardes, faute d’armes à feu. Le gouverneur de l’île, Àslor Baglione, avait réservé la majeure partie de ses forces pour la défense de Famagouste; parce que cette autre place était beaucoup moins fortifiée, et qu’il ne doutait pas que les Turcs ne l’attaquassent la première, attendu qu’elle était sur le bord de la mer, au lieu que Nicosie était dans l'intérieur des terres. D’après cette conviction, il avait choisi le poste qu’il jugeait le plus périlleux, s’était placé à Famagouste, et avait confié la défense de la capitale à un de ses lieutenants, nommé Nicolas Dandolo, homme que son nom et une suite de médiocres services avaient conduit à un grade important, mais qui n’avait, dit-on, ni la capacité, ni la résolution que réclamaient de si graves circonstances. Mustapha-Pacha, maître de tout le plat pays de l’île, fit commencer le siège devant Nicosie, le 22 juillet, et, pour intercepter toute communication entre cette place et Famagouste, il lui suffit de jeter un parti de cinq cents chevaux sur la route qui conduit de l’une à l’autre. Son impatience pressait les travaux, multipliait les assauts, et essayait à la fois sur les assiégés les menaces et les moyens de corruption. Les historiens accusent le peu de fermeté du commandant, et la discorde qui régnait entre les principaux officiers de la place. Il est très-ordinaire que, dans les occasions où il n’y a que le choix des malheurs, on se divise ; mais j’avoue que je ne vois pas trop ce que les défenseurs de Nicosie auraient pu faire de plus. Les Turcs passaient alors pour beaucoup plus habiles que les chrétiens dans l’art de l’attaque et de la défense des places. Les détails que l’historien Paruta donne sur ce siège font foi de cette supériorité. Cependant, ce ne fut qu’après un quatrième assaut qu’ils pénétrèrent dans Nicosie ; les assiégés avaient effectué plusieurs sorties, et mis le désordre djins le camp. Jacques de Nores, commandant de l’artillerie, le comte de Rocas, chef des milices, s’étaient fait tuer sur la brèche. Ce fut dans une attaque nocturne que les postes furent surpris et égorgés. Les troupes fugitives, une partie de la population éperdue, les magistrats, le commandant, l’archevêque, se réfugièrent dans le palais; là, ils capitulèrent pour avoir la vie sauve; mais, dès qu’ils eurent ouvert les portes, le vainqueur viola sa promesse, le massacre recommença, et vingt mille habitants de celte capitale périrent par l’épée. Les Turcs trouvèrent dans Nicosie deux cent cinquante pièces de canon ; ils en brisèrent une, qui les avait fort incommodés pendant le siège, et rassemblant les débris de quelques monuments qui décoraient les environs de Nicosie, ils élevèrent un tombeau de marbre pré- 3 1