34 HISTOIRE DE VENISE. cicux à l’officier qui avait planté l’étendard ottoman sur les remparts. • VIII. La perte de Nicosie avait eu lieu le 9 septembre. La grande (lotte combinée était toujours immobile dans les ports de Candie ; on y délibérait au lieu d’agir. Les uns voulaient marcher au secours de l’île envahie, les autres proposaient de faire ailleurs une importante diversion, qui obligeât les Turcs à abandonner cette entreprise, et, comme de coutume, on trouvait des inconvénients à tout : enfin ceux qui allaient droit au but représentèrent avec tant de force que secourir l’île était l’objet de l’armement, qu’il y aurait de la honte à se porter là où l’ennemi n’était pas, que ce serait décourager totalement les défenseurs de Chypre ; ils demandèrent avec de si vives instances à marcher contre l’ennemi, que l’amiral se décida à sortir du port le 18 septembre. Il se trouvait à la tête de cent quatre-vingt et une galères, douze galéasses et quatorze vaisseaux armés; c’était donc une flotte de plus de deux cents bâtiments de guerre, accompagnés d’un grand nombre de vaisseaux de transport, et chargés de quinze mille hommes de débarquement. Dans ce puissant armement, il n’y avait que quarante-cinq galères espagnoles et quatre mille hommes de troupes de Philippe II. Presque tout le reste avait été fourni par la république. En approchant des côtes de l’Asie mineure, on donna la chasse à un bâtiment turc, chargé de chrétiens qui avaient été pris à Nicosie. On apprit de ces captifs le malheur de leur ville ; qu’immédiatement après cette conquête, Mustapha avait porté toutes ses forces devant Famagouste, et que ses cavaliers, en courant autour de la place, montraient au bout de leurs sabres les têtes des principaux habitants de la capitale. Ces nouvelles furent, pour ceux qui n’avaient point approuvé la marche vers Chypre, une occasion de reproduire leur proposition de tenter quelque autre expédition. Mais le généralissime espagnol fit cesser toutes les délibérations, en déclarant qu’il ne s’était décidé à s’éloigner des ports du roi son maître, que pour secourir Nicosie; que malheureusement il n’était plus temps; qu’il serait imprudent de hasarder une bataille dans une mer où on n’avait point d’asile; que la saison était déjà fort avancée, et qu’en conséquence il avait résolu de ramener la flotte du roi son maître en Sicile. Rien ne put l’ébranler dans sa détermination, et, quelques jours après, il se sépara de la flotte et fit voile pour la Sicile avec ses quarante-cinqîgalères. L’amiral vénitien, abandonné des Espagnols, sentit que la flotte ottomane ne manquerait pas de sortir des ports de Chypre, pour venir lui présenter le combat, et que la retraite serait encore plus houleuse, exécutée en présence de l’ennemi. En effet, l’amiral turc avait déjà mis à la voile, et sans une tempête, qui écarta les uns et les autres de leur route, et qui brisa quelques galères vénitiennes contre des écueils, il aurait probablement atteint la flotte chrétienne, avant qu’elle ne fut arrivée dans le port'de Candie. Tels furent les résultats de celte campagne; des sommes immenses dépensées, la perte de vingt mille hommes par les maladies, Te naufrage de plusieurs vaisseaux, toute l’île de Chypre au pouvoir des Turcs, la capitale saccagée, Famagouste, la seule place qui restât à la république, assiégée sans espoir d’être délivrée, et la honte éternelle pour les armées chrétiennes, de n’avoir osé s’approcher de l’ennemi. L’hiver fut employé par les Turcs à presser le siège de Famagouste, et à tâcher de ralentir les armements de la république par quelques propositions d’accommodement. De leur côté, les Vénitiens employèrent cette saison à exciter la révolte de quelques peuples de la Dalmalie, fatigués du joug ottoman, et à suivre les négociations de la ligue, car le sénat, toujours constant dans ses projets, n’était pas encore dégoûté de l’alliance des Espagnols. IX. Devant Famagouste, les Turcs avaient ouvert la tranchée dès le mois d’octobre; mais la nature du terrain, qui est un roc très-dur, ne permettait pas de creuser sans une grande perte de temps. Ils essayèrent de faire une tranchée artificielle avec des sacs remplis de sable. Ils élevèrent même des redoutes. Les assiégés firent des sorties heureuses et renversèrent ces ouvrages : le feu était si vif de part et d’autre, que, dès le commencement du siège, les Cypriotes avaient déjà consommé cinquante milliers de poudre, c’est-à-dire la plus -grande partie de leurs munitions. Les assiégeants ralentirent un peu leurs efforts, lorsque la saison devint rigoureuse; parce que le départ de leur flotte, qui alla hiverner à Constantinople, les priva d’une partie de leurs travailleurs : ils établirent leur camp non loin de la ville, dans des jardins charmants entre les murailles et la mer, parmi les bois de cèdres et de eitroniers qui embellissaient les environs de l’ancienne Amathonte (oct. 1570). Quelques vaisseaux restés pour bloquer le port, furent assaillis et dispersés par douze galères vénitiennes : c’était un secours de seize cents hommes et d’approvisionnements, que Jlarc-AntoineQuerini avait été chargé de jeter dans la place. Quelque temps après, il en arriva un second qui consistait en huit cents hommes. A l’aide de ces renforts, la garnison et les habitants persistèrent dans la résolution généreuse de se défendre jusqu’à la dernière