282 HISTOIRE DE VENISE. culottes. Pendant longtemps ces animosités furent si violentes, que les femmes, les enfants les partageaient. Les moindres rixes se terminaient quelquefois par l’effusion du sang ; et lorsque les mœurs se furent adoucies, des jeux annuels perpétuèrent le souvenir de ces divisions. VI. Passons à l’organisation de l’aristocratie vénitienne. Tous les nobles âgés de 23 ans avaient séance au grand-conseil ; maison accordait, par le sort, trente dispenses d’âge à de jeunes patriciens de 21 ans. Quelquefois cette dispense était accordée au mérite; dans les circonstances difficiles elle a été vénale. Le doge présidait l’assemblée, accompagné de ses conseillers et des chefs des divers corps de l’Etat. Le grand-conseil se réunissait tous les dimanches: c’était un ancien usage, qui atteste que, dans les premiers temps, les membres de ce corps souverain étaient occupés chez eux pendant la semaine des affaires de leur commerce. On rie pouvait délibérer si on n’était au nombre de deux cents, pour les affaires ordinaires, et de huit cents pour les affaires importantes. Ce dernier nombre avait été réduit à six cents par une loi de 1775. L’usage des flambeaux étant interdit, l’assemblée se séparait nécessairement au coucher du soleil. Les attributions du grand-conseil étaient de leur nature illimitées; puisqu’il était le souverain de l’Élat, le seul corps qui existât par lui-même, et qui eût une autorité propre; mais il en avait délégué la plus grande partie, notamment toutes les affaires de la politique intérieure et extérieure. Il ne s’était réservé que la sanction des lois, la création des nouveaux impôts, le droit de conférer la noblesse, d’accorder la citadinance, et de nommer à presque tous les emplois qui devaient être remplis par des patriciens. Encore faut-il remarquer que, pour ne pas laisser trop d’influence à la plèbe de la noblesse et au hasard, qui, en désignant les électeurs, avait toujours part dans les élections, le sénat linit par s’arroger le droit de nommer lui-même aux charges les plus importantes, et de désigner les sujets à élire pour beaucoup d’autres. Ce n’est pas une des moindres charges des dépositaires du pouvoir que celle d’occuper ou d’amuser le souverain. Quand ce souverain est un individu, il est souvent difficile de l’assujettir à s’occuper des affaires; quand c’est un être collectif, il l’est encore plus de l’en empêcher. On conçoit qu’à Venise, où l'assemblée générale des patriciens se réunissait au moins une fois par semaine, et où les voix se comptaient et ne se pesaient pas, il eut été dangereux de laisser à celte assemblée le soin de chercher elle-même la matière de ses délibérations. Aussi le droit d’y faire des propositions n’appartenait-il point à tous les membres, mais 1° au doge; 2° aux six conseillers du doge pris collectivement, c’est-à-dire quand la proposition avait été approuvée parla majorité d’entre eux; 5° aux trois chefs delà quarantie criminelle, quand ils étaient unanimes; 4° à chacun des trois avocats de la commune; 15“ aux magistrats des eaux et à ceux de l’arsenal, seulement sur des matières de leur ressort, et.quand ils étaient unanimes entre eux. Les propositions du doge pouvaient être mises en délibération sur-le-champ; on ne votait sur les autres qu’après un délai. Les affaires renvoyées au grand-conseil par le sénat étaient mises en délibération sans qu'il fut besoin que personne se chargeât de les proposer; mais comme ce renvoi était de la part du sénat un aveu de son incompétence, ces occasions se présentaient rarement, et seulement lorsqu’il s’agissait de quelques grâces à accorder. La nécessité d’occuper l’assemblée sans l’agiter, avait favorisé l’introduction de toutes ces formalités, qui multipliaient et allongeaient les scrutins. On lui soumettait beaucoup de nominations, mais les moins importantes , et comme on ne pouvait pas espérer que ce conseil oubliât sa qualité de législateur, on lui proposait, sous le titre de lois, une multitude de mesures qui semblaient n’appartenir qu’à l’administration. lie là celte grande quantité de lois modifiées et révoquées, et ce dicton populaire, Parte veneziana dura una setiimana, qui, en accusant le grand-conseil d’inconstance, diminuait sa considération au profit du sénat, du conseil du doge, et du conseil des Dix, mais qui n’empêchait pas que la législation, dans ce qui mérite réellement ce nom, ne fut plus stable à Venise que partout ailleurs. Tous les membres du grand conseil pouvaient prendre la parole pour ou contre une proposition, après qu’elle avait été admise; et il est remarquable que, dans ces assemblées, on était obligé de parler le dialecte vénitien. L’usage de la langue toscane n’était toléré que dans l’exorde. On donnait sa voix avec des boules; chaque votant jetait la sienne dans une des trois boites qu’on lui présentait ; ces boites étaient de diverses couleurs; la blanche pour l'affirmative, la verte pour la négative; les boules jetées dans la boite rouge annonçaient l’irrésolution ou au moins le désir de voir la proposition modifiée. Si le nombre des boules do cette botte formait la majorité, la proposition était reproduite, mais avec des changements. Toutes les affaires ne se décidaient point à la simple majorité. Il y avait beaucoup de cas où il fallait une majorité déterminée. Quant aux élections, les formes en étaient exlré-