82 HISTOIRE DE VENISE. si le roi de France ne fût intervenu, et n’eût parlé assez haut, pour faire cesser une poursuite qu’il regardait comme une injure personnelle. Ainsi fut conclue cette paix qui rendit le repos à l’Italie. Ce traité fut signé à Paris; mais on l’appela le traité de Madrid, parce qu’il y fut ratifié, le 26 septembre 1617. Il portait qu’aussitôt que l’archiduc aurait mis une garnison allemande dans Segna, les Vénitiens lui restitueraient une de ses places; qu’ensuite on nommerait respectivement des commissaires pour prononcer, dans le délai de vingt jours, sur le sort des Uscoques, et pour aviser aux moyens de confiner les plus turbulents dans l’intérieur des terres; leurs barques devaient être brûlées, cl, après l’exécution de ces conditions, les troupes de la république devaient évacuer tout ce qu’elles avaient conquis sur le territoire autrichien. Ainsi fut dispersée, dès qu’on le voulut sincèrement, une peuplade, dont le nombre ne s’éleva jamais à plus de mille hommes, et qui, soutenue par la duplicité du cabinet autrichien, fatigua, pendant près d’un siècle, les Turcs et la république de Venise. « Depuis trente ans en çà , dit un témoin oculaire, ils lui coûtent vingt millions d’or, tant en prises et déprédations, par eux faictes dedans le golfe, dommages et intérêts qu’elle a payés au Turc, qu’en la despense qu’elle a employée pour les tenir en bride. » Le même traité qui délivrait la république des pirates terminait aussi une autre guerre qu’elle faisait en même temps en Italie, et dont je n’ai pas voulu mêler le récit avec l’histoire des Uscoques. Mil. Cette guerre avait lieu dans le Montferrat. Ce pays est une principauté qui s’étend entre le Milanais et le Piémont. Elle avait été transportée dans la maison des Paléologue par une princesse italienne qui avait épousé l’empereur Andronic, et cette maison avait possédé ce pays jusqu'au moment où elle s’était éteinte, en 1!552. Cette petite souveraineté avait été adjugée, en 1536, par une sentence de l’empereur Charles-Quint, au duc de Mantoue, Frédéric de Gonzague, à cause de sa femme, qui était de la maison des Paléologue; mais les ducs de Savoie, alliés anciennement à cette même famille, avaient sur ce pays des prétentions qu'ils reproduisaient fréquemment. Ces différents paraissaient avoir été terminés par le mariage du duc de Mantoue avec une fille de Charles-Emma-nuel, duc de Savoie. Celui-ci apprit bientôt la mort de son gendre, qui ne laissait qu’une fille, et se hâta de faire valoir encore tous les droits qu’il avait cédés. Pour colorer ses prétentions de quelque apparence de justice, il demanda qu’on lui remît cette enfant, qu'il pouvait produire comme héritière du Montferrat, parce que cette principauté n’était pas un fief dont les femmes fussent exclues. Ferdinand de Gonzague, frère et successeur du dernier duc de Mantoue, sentit qu’en livrant la jeune princesse, il s’exposait à perdre la moitié de ses Etats. 11 invoqua la protection de l’empereur, tandis que Charles-Emmanuel sollicitait l’appui de l’Espagne. Ces deux grandes autorités voulurent être arbitres de la querelle ; mais la puissance de l’empereur n’était pas, à beaucoup près, aussi considérable que celle du roi d’Espagne. Celui-ci possédait d’ailleurs de vastes États en Italie, où la branche autrichienne de sa maison n’avait encore aucun établissement. Il avait par conséquent plus d’intérêt etde moyens d’y dominer. Pendant qu’on négociait, Charles-Emmanuel rassembla des troupes, se jeta dans la province, objet du litige, et s’empara de presque toutes les positions. Les Vénitiens virent avec inquiétude une irruption qui pouvait attirer les étrangers en Italie. Ils firent des représentations au duc de Savoie, fournirent quelque argent au duc de Mantoue pour lever des troupes, et rappelèrent l’ambassadeur qu’ils avaient à Turin. Mais la cour de Madrid, usant de sa supériorité, rendit utie décision qui ne satisfaisait aucune des deux parties. Elle exigea que la jeune princesse fût envoyée à Milan, que le duc de Savoie évacuât le Montferrat, et, sans consulter ni ce prince, ni le duc de Mantoue, elle régla que, pour confondre une seconde fois les droits des deux maisons rivales, Ferdinand de Gonzague épouserait la veuve de son frère, c’est-à-dire la fille de Charles-Emmanuel. A cette sentence arbitrale, elle ajouta l’ordre de désarmer et de licencier les troupes. Cette affectation d’autorité annonçait combien il était dangereux d’accoutumer la cour d’Espagne à intervenir dans les affaires d’Italie. Charles-Emmanuel, qui était un prince de beaucoup de valeur et de caractère, prit le parti de la résistance. Il renvoya l’ordre de la Toison, qu’il avait reçu du roi d’Espagne, en faisant dire à ce prince, qu’il était si peu disposé à porter des chaînes, qu’il ne voulait pas même garder celle-là. Ses troupes entrèrent dans le Milanais : ses ambassadeurs allèrent solliciter les secours de la république. Elle temporisa, en profitant de ces délais pour renforcer son armée, prendre des Suisses à sa solde, et s’entremêler dans la négociation; mais le duc de Savoie perdit une bataille contre les Espagnols, et, forcé de recevoir la paix, il ne voulut y consentir qu’à condition que les Vénitiens se rendraient garants du traité. XIV. Garantir un traité entre le fort et le faible, c était nécessairement se déclarer l’allié de celui-ci. La république sentait tout ce que cet arrangement