138 HISTOIRE DE VENISE. qui était Alexandre VII, mit un prix à cette condition. Il exigea le rappel des jésuites (1), et le gouvernement y contentit, cédant à la nécessité de ménager le souverain pontife, et de complaire à la France, qui, dans cette affaire, témoigna en faveur de cette société un intérêt très-vif et très-difficile à expliquer. Ce rappel porta tous les caractères, non d’une mesure spontanée, mais d’une concession. On permit aux jésuites de rentrer dans le territoire, mais non dans leurs biens. Au lieu de maisons magnifiques qu’ils possédaient auparavant, il fallut qu’ils achetassent un couvent de l’un des ordres qui venaient d’être supprimés. C’était une espèce de contradiction de renvoyer des moines, pour en rappeler d’autres. Une autre preuve bien évidente qu’on regardait ceux-ci comme dangereux, ce fut le décret qui leur défendit de résider plus de trois ans dans les pays do la domination de la république. On leur permit d’ouvrir un collège; c’était en cela qu’ils pouvaient être éminemment utiles, s’ils avaient su s’y borner. Mais on eut soin d’exiger toujours, dans la pratique de l’enseignement, la plus grande publicité. Le temps ne ralentit point celte méfiance; car, en 1789, le gouvernement refusa un asile aux jésuites chassés du Portugal, défendit, sous peine de la vie, à douze de ces pères qui arrivaient du Paraguay, de mettre le pied sur le territoire de la république, et appesantit encore le joug qui pesait sur les siens. Un père Vota, fameux dans la société, ayant imaginé de former une espèce d’académie de jeunes nobles, dans laquelle il leur donnait des notions de géographie, de politique et d’histoire, reçut ordre de sortir du territoire vénitien el de n’y plus rentrer. On avait oublié, ou plutôt on se souvenait, qu’autrefois Saint Ignace était apparu à plusieurs vieux sénateurs, pour leur ordonner de prendre chacun un de ces bons pères, de l’amener dans leurpalais, etdele combler de soins et d’honneurs. Le doge François Molino mourut en 1688. On lui donna pour successeur Charles Contarini ; et le procurateur de Saint-Mare, Jérôme Foscarini, fut nommé capitaine-général. (1) Sans les conjonctures où se trouvoient alors les Vénitiens, les jésuites n'auroient jamais obtenu leur retour, quelque grand que iYlt leur crédit dans la plupart des cours de l’Europe. Mais, heureusement pour eux, la république avoit alors à soutenir la guerre de Candie, elle avoit besoin du pape pour en tirer quelques secours pécuniaires, et des permissions d’imposer quelques taxes sur le clergé. Les Chigi, neveux du pape, avoient encore plus besoin d’argent pour bâtir leur palais et établir leur fortune. Dans ces nécessités réciproques, les jésuites firent offrir au pape une somme considérable d’argent. Ils lui firent dire qu’en la distribuant ou à sa famille ou à la république, il feroit grand plaisir à l’une ou à l’autre; que la compagnie ne lui deman-doit que d’employer scs soins à faire en sorte que la répu- La mort du dernier généralissime avait fait tomber momentanément le commandement entre les mains de François Morosini, dont le nom, dès long, temps illustre, devait être immortalisé dans cette guerre, où il venait de recevoir un nouvel éclat, par le dévouement du patriarche de Venise, Jean-François Morosini, qui avait donné à tout le clergé l’exemple d’un désintéressement patriotique ; par les campagnes du généralissime Jérôme, et de Bernard ; enfin par la mort glorieuse de Thomas el de Daniel Morosini, qui, tous deux, avaient péri entourés de la flotte turque, et à la vue des Dardanelles. François Morosini saccageait les établissements des Turcs sur les côtes de l’Archipel, brûlait leurs magasins, détruisait leurs manutentions, en attendant le nouveau généralissime; mais il fut obligé de conserver le commandement, parce que Foscarini arriva malade, et mourut quelques jours après. Morosini alla mettre le siège devant Malvoisie. Cetle place, située sur la côte orientale de la Morée, était un entrepôt d’où les Turcs envoyaient continuellement des renforts et des approvisionnements à leur armée de Candie. Cette fois, cc fut Lazare Moncenigo qui, avec quarante galères ou vaisseaux, fut chargé de fermer le passage des Dardanelles. Les Turcs s’y présentèrent avec plus de cent bâtiments. La bataille fut générale, et la victoire resta fidèle aux armes de la république. Dans une mêlée de six heures, il y eut trois vaisseaux turcs pris, onze brûlés, neuf coulés à fond. Les Vénitiens n’en perdirent qu’un, qui fut dévoré par les flammes. Le lendemain, ils bloquèrent, dans le port de Foschia, le capitan-pacha, qui s’y était réfugié avec le reste de ses galères; mais il en fut de cette bataille comme de toutes les autres; ni la rade de Foschia, ni le port de Malvoisie, ne purent être constamment bloqués. Malvoisie fut délivrée par la retraite de Morosini, qui rentra à Candie; et le capitan-pacha, profitant de l'éloigne-ment de Moncenigo, ramena les débris de son armée à Constantinople. blique voulût bien lever l’édit de bannissement qu’elle avoit prononcé contre la société, et la recevoir de nouveau dans son sein, afin de prier Dieu pour la prospérité de l’État et l’heureuse fin de la fâcheuse guerre dont elle éloit affligée. Le pape eut égard à une requête si adroitement dressée et si puissamment soutenue. Les Vénitiens, voyant que le pape demandoit si instamment le rappel des jésuites et que tous les secours qu’ils en pouvoient attendre dépendoienl de cette condition, y donnèrent enfin les mains, et chacun obtint ce qu’il souhaitoit, la république des secours, la société son rappel à Venise, et le pape des sommes qui paroitroient incroyables, si l’on ne savoit les moyens qu’ont ceux qui les donnent de le pouvoir faire sans sc gêner. » (Hist. ecclésiastique, de l’abbé Bacine, 1.10, p. 40.)