LIVRE XXVII. extrémité; on fît sortir les bouches inutiles, on embarqua les femmes, les enfants,il ne resta dans la ville que sept mille hommes en état de porter les armes. Sur les côtes de la Dalmatie et de l’Albanie, une petite escadre vénitienne favorisait l’insurrection des sujets de la Porte, et enlevait quelques places. A Venise 011 avait reçu, par le baile resté à Constantinople, l’avis que le grand-visir paraissait encore disposé à la paix. On avait envoyé dans celte capitale un plénipotentiaire, avec une mission ostensible, pour négocier le retour des prisonniers; mais cet agent portait au baile une instruction secrète du conseil des Dix, qui l'autorisait à traiter en abandonnant l’île de Chypre, sauf la ville de Fama-gouste, qu’il pouvait même céder, pourvu que les Turcs consentissent à donner ailleurs quelque place en dédommagement. X. Dans la situation où étaient les choses, le départ de cet agent, et le véritable objet de sa mission, ne pouvaient être longtemps un mystère. La crainte de voir les Vénitiens faire leur paix séparée avec les Turcs, accéléra la marche de la négociation pour le traité d’alliance. Elle durait depuis un an, et n'avançait pas. Quand les Vénitiens insistaient, pour qu’on les aidât à porter un secours prompt et efficace dans l’île de Chypre, les ministres de Philippe II s’écriaient que leur maître étendait ses vues bien plus loin; qu’il fallait absolument délivrer la chrétienté du péril, sans cesse renaissant, où la mettait la puissance des infidèles ; que ce n’était pas assez de reprendre Chypre, qu’il y avait à détruire les Maures, à chasser les Turcs de Constantinople; ils parlaient même de porter la guerre dans la Perse. De telles propositions n’avançaient point les affaires, et ne prouvaient point la sincérité du roi. On soupçonnait qu’il ne voulait ni faire la guerre, ni permettre aux Vénitiens de faire une paix, qui aurait pu le laisser lui-même exposé à la vengeance des Turcs. Le pape lui avait accordé l’autorisation de lever, sur le clergé d’Espagne et des Indes, une dîme qui produisait plusieurs millions, et il n’était pas fâché de prolonger un état de guerre si profitable, et qui n’était pas encore dangereux pour lui. Mais lorsqu’il vit que les Vénitiens, réduits à ne pas compter sur une coopération sincère de sa part, pouvaient d’un moment à l’autre acheter la paix avec le sultan, tous les obstacles qui avaient retardé la conclusion de la ligue s’aplanirent. Le sénat, qui ne recevait point de Constantinople •les nouvelles, qui lui permissent l’espérance d’un accommodement raisonnable, se détermina à s’assurer au moins des alliés pour la prochaine campagne, et l’acte de confédération fut signé. Voici quelles en étaient les conditions. Le pape, le roi d’Espagne et la république for- maient une ligue perpétuelle, dans l’objet d’abaisser la puissance des Turcs. Les forces de la confédération, destinées à agir en commun, devaient consister en deux cents galères, cent vaisseaux, cinquante mille hommes de pied et quatre mille cinq cents chevaux. Le contingent de la dépense était fixé pour le roi à la moitié, pour le pape à un sixième, pour les Vénitiens à un tiers. Cette armée devait être prête au mois de mai. Otrante était le lieu du rendez-vous. Comme le pape n’avait presque point de bâtiments de guerre à sa disposition, les Vénitiens s’obligeaient à lui fournir douze galères, avec toute leur artillerie et leurs agrès. Le commandement de toutes ces forces devait être confié au généralissime espagnol. Le gouvernement de la république mit beaucoup de diligence dans scs préparatifs. Sa (lotte, qui était venue hiverner à Corfou, fut renforcée par un nouvel armement de vingt-cinq galères. Mais on manquait d’hommes; pour s’en procurer, on releva de leur ban tous les exilés qui voudraient prendre du service; on assura à tous les volontaires une exemption d’impôts pendant quatre ans. Le généralissime de mer, Jérôme Zani, étant malade, on le remplaça par Sébastien Vénier. O11 levait des troupes de tous côtés. Les dépenses que cette guerre imposait à la république, n’allaient pas à moinsde trois cent mille ducats par mois. On eut encore recours aux expédients devenus familiers au gouvernement, les emprunts, l’aliénation des domaines, la création et la vénalité des emplois. Tant que la conclusion de la ligue avait élé incertaine, les Vénitiens, sentant leur infériorité, pour combattre en pleine mer un ennemi dont les forces venaient de s’accroître, et dont les projets allaient devenir plus vastes, s’étaient déterminés à tenir une cinquantaine de galères à Candie, pour coopérer à la défense de cette île, pour être à portée de jeter furtivement quelques secours dans Fama-gouste, et pour intercepter toutes les petites escadres turques qui voudraient sortir de l’Archipel. La ligue signée, ce plan devait changer. Un ne pouvait espérer un succès que d’un effort simultané, et, au lieu de diviser ses forces, pour garder tous les points qui pouvaient être menacés, il fallait les réunir, afin de détruire d’un seul coup, s’il élait possible, toute la Hotte ennemie. Tous les confédérés s’étaient promis de réunir leurs galères à Otrante au mois de mai. Tous étaient en relard ; les Vénitiens, à cause de la difficulté de rallier leurs escadres ; le pape, les Espagnols, parce que les leurs n’étaient pas encore prêtes. XI. La flotte ottomane, forte de deux cent cinquante voiles, était déjà en mer. On l’apprit par le bruit de ses ravages. Les Turcs se regardaient