LIVRE XXXIII. 137 arrêter dans sa route. La captivité de ce malheureux plénipotentiaire fut si longue et si rigoureuse, qu'il essaya d’attenter à sa vie, et succomba enfin à scs souffrances et à son chagrin. XV. Moncenigo fut renvoyé pour prendre le commandement, à la fin de l’année 1635. La campagne suivante s’ouvrit par un de ces combats également glorieux et déplorables, qui affaiblissent encore plus qu’ils n’illustrent les armes des vainqueurs. Joseph Dclfino gardait le passage des Dardanelles avec seize vaisseaux, deux galéasscs et huit galères. Il était observé, du côté de l’Archipel, par trente-deux bâtiments barbaresques, qui cherchaient à l’attirer loin du détroit. Le 0 juillet 1634, il vit venir à lui de Constanti-nople soixante-quinze galères ou vaisseaux turcs. Il donna aussitôt le signal du combat; mais, soit que plusieurs de ses capitaines eussent mal exécuté cettc manœuvre, soit que les courants ne leur permissent pas de garder la ligne, douze vaisseaux et six galères furent emportés loin du détroit. L’amiral restait avec deux galères, deux galéasscs et quatre vaisseaux. Cette disproportion de forces ne l’empêcha pas de tenir ferme. Chacun des huit bâtiments fut bientôt entouré par plusieurs vaisseaux ennemis. Une de scs galères succomba, après une belle défense. Un vaisseau, que montait Daniel Morosini, faisait un feu terrible, et venait d’obliger une galère ottomane à amener son pavillon. Les Turcs faisaient les plus grands efforts pour la reprendre. Ne pouvant y parvenir, ils y mettent le feu. L’incendie gagne le bâtiment de Morosini, qui saute en l'air. Un autre éprouve bientôt après le même sort. Le troisième vaisseau et les deux galéasscs se font jour au travers des ennemis, et gagnent la haute mer. 11 lie restait plus sur le champ de bataille, au milieu de toute la flotte turque, que üelfino avec son vaisseau, et une galère. Ce vaisseau, canonné depuis le commencement de l’action par six bâtiments ennemis, n’était plus en état de manœuvrer, ni de se défendre. L’amiral ordonne d’y mettre le feu, fait passer tout l’équipage sur la galère, y passe lui-même, et avec ce seul et dernier bâtiment, percé de tous côtés, sans voiles, sans gouvernail, soutient le choc de toute une armée, éloigne par son feu ceux qui veulent l’aborder, et, se laissant entrainer par le courant, sort du détroit au milieu des ennemis frappés d’admiration, et confondus d’une telle résistance. Hors du canal, il se trouve jeté sur la côte; il se dégage. Les Turcs viennent l’assaillir; il les repousse, leur prend une galère à l’abordage. Entouré par quatorze vaisseaux ennemis, il abandonne sa proie, s’ouvre un passage, et, à la faveur de quelques lambeaux, qui lui servent de voiles, regagne le reste de son escadre. Le lendemain, il voulait attaquer les ennemis, qui, dans le combat de la veille, avaient eu deux de leurs vaisseaux brûlés, et trois mille hommes tués; mais les vents l’en éloignèrent ; et le capitan-pacha, après avoir employé un mois à réparer sa flotte, courut ravitailler la Canée, et rentra dans les Dardanelles, regardant comme un succès d’avoir traversé l’Archipel sans rencontrer l’ennemi. Moncenigo mourut de chagrin de ce que cette flotte lui avait échappé. XVI. Ce divers exemples montraient assez que ce n’était point l’habileté qui devait décider du résultat de cette guerre. Toujours victorieux sur mer, les Vénitiens n’empêchaient pas l’armée de Candie de recevoir des renforts. Elle poussait plus ou moins vivement le siège de la capitale de l’ile ; mais la durée de cette guerre était désespérante. Rien ne prouvait mieux l’inégalité des forces que l’appareil de troupes et de vaisseaux que l’empire turc, malgré sa détestable administration, renouvelait tous les ans. Ne sentant que trop l’impossibilité de triompher par la constance, la république appelait à son secours l’empereur, la France, l’Espagne, le protecteur qui gouvernait alors l’Angleterre, le pape, et jusqu’à ce souverain, alors presque inconnu, qu’on appelait le grand-duc de Moscovie. Tous ces princes ne lui témoignèrent qu’un intérêt stérile; les plus voisins lui envoyaient, vers la fin de chaque campagne, quelques galères qui se reliraient avant l’hiver. La France avait deux intérêts opposés. Ellevoyait sans regret les Vénitiens en guerre avec l’empire turc, parce qu’elle espérait les supplanter dans le commerce du Levant; mais elle ne pouvait voir sans crainte les Ottomans acquérir, dans la Méditerranée, des possessions qui, tôt au tard, devaient leur en assurer l’empire. Dans celte alternative d’ambition et d’inquiétudes, la cour de France cherchait à s’emparer du rôle de médiatrice. Ses ministres, à Constanlinople et à Venise, avaient pour instructions, l’un, de ralentir l’ardçur du divan; l’autre, de soutenir le courage de la république; et le sénat vénitien prouva l’importance qu’il attachait à ces bons offices, en inscrivant au livre d’or le nom du comte d’Argenson, alors ambassadeur de Louis XIV, et en l’autorisant à ajouter à son écusson les armes de la république. Le pape supprima quelques couvents dans le territoire vénitien, et permit la vente de leurs biens. C’était une ressource médiocre, mais une concession fort importante; parce qu’elle consacrait le principe, qu’on ne peut faire un meilleur emploi des biens de l’Eglise, comme de tous les autres, que de les affecter aux besoins de la patrie. Ce pape*