378 HISTOIRE DE VENISE. juin, qu’il vient d’arriver à Venise à la suite du nouveau doge Antoine l’riuli, avec lequel il s’était ! rencontré à Chiozza, et qu’il a assisté à son entrée. Ainsi l’entrée de ce doge n’eut lieu que le 0 juin, et la prétendue conspiration était découverte depuis le 14 mai. ■ , Puisque l’abbé de Saint-Réal avait sous les yeux lerapport du marquis de Bedetjiar, il ne tenait qu'à lui d'y lire que, lorsqu’il s’était présenté devant le collège, c’était le vice-doge qui présidait cette assemblée. Donc le nouveau doge n’était arrivé qu’à-prés la découverte de la conjuration. Il représente Jacques Pierre et Renault comme ayant voué une haine irréconciliable aux Vénitiens. Cependant il aurait pu voir que, dans la procédure, il était fait mention d’une lettre écrite par Jacques Pierre au duc de Ncvers, lettre qui fut trouvée sur le capitaine Renault, et qui fournit une preuve de l’innocence de l’un et de l’autre. Jacques Pierre était serviteur du duc de Ncvers. Il avait imaginé de proposer à ce prince de se former un État dans la Moréc. C'était Daller sa passion dominante. Le duc de Ncvers prétendait descendre par les femmes de la maison des Paléologues; et, ne doutant pas que les Grecs ne regrettassent le sang de leurs anciens maîtres, il rêvait depuis quelques années le projet de se jeter sur ces eûtes, avec quelques centaines d'aventuriers, persuadé qu’à son apparition toute la population se soulèverait pour le proclamer empereur, et ne lui demanderait que des armes. Les intelligences qu’il entretenait dans la Moréc, et les indiscrétions qui lui échappaient dans ses moments de jactance , avaient déjà occasionné la mort d’une cinquantaine de Grecs. Deux de ses émissaires avaient été empalés; l’évéque de Lacé-démonc avait été écorché vif (1). Jacques Pierre, qui voulait réveiller l'ambition de ce prince, lui écrivit pour lui conseiller une tentative. Cette lettre devait être portée par le capitaine Renault (-). Elle contenait ce passage: u Le duc d’üssone, que j’avais servi contre le Turc , me voulant employer contre cette sérénissime république, cl considérant de combien de tels desseings importent, non-seulement au service de mon roy et de toute l’Italie, mais de toute la chrétienté, ne désirant estre employé à ce dessciug, je pris occasion de m’en retourner à (1) Memorte recondUe, dit Villorio Siri. i. IV, p. 483. (2) Léon Iiriisl.nl à M. île Puysieutx. • Je tous diray plu», i|iic tant »’en fault que ledit Jacques Pierre eusl cote 1" n (de conspirer contre Venise), qu’au contraire, il ne son;;-nii qu’à servir le roy cl M. de Nevers eu sex desseing« de Levant, et avoit chargé ce Renault de mémoires bien amples sur ce suliject, et de lettres qu’il escrivoit à S. M.,et à mond. sieur de Ncvers, dont il vint chez moy me faire la lecture, et en-voyoit exprès en France lcd. Renault, pour en cure porteur, Rome, alin d’avoir moyen de venir pluslost icy au ! service de ceste république, que d’obtempérer aux desseings dudict duc d’Ossone ; et laquelle république je désirois servir de toute ma force et puissance contre leurs ennemis; saschant bien que le roy tost ou tard m’en sçaura bon gré, parce qu’il rccoguoistra que je lui rendray, par ce moyen, uu très-signalé service, pour le grand inlérest qu’il a à la manutention et conservation de ces seigneurs (3). » Cette lettre, écrite à un aussi grand personnage que le duc de Ncvers, ne devait pas avoir pour objet de le tromper. Ce prince était alors en France. Il ne pouvait ni seconder ni empêcher les projets des Espagnols contre Venise. Jacques Pierre lui proposait une entreprise, romanesque sans doute, mais qui enfin devait contrarier les vues des Espagnols : à quoi bon, dans celle lettre, aurait-il protesté de son dévouement pour la république, si ce dévouement n’cùt pas été sincère? Cette lettre devait être accompagnée de mémoires explicatifs, dont Jacques Pierre était allé faire la lecture à l’ambassadeur de France (4). Le porteur de cette lettre devait être le capitaine Renault, qui en avait rédigé la minute (elle est de sa main). Il partageait donc les sentiments de Jacques Pierre; donc ils n’avaient ni l'un ni l’autre le dessein de mettre Venise à feu et à sang. Ce projet, de former un établissement au duc de Nevers dans la Turquie européenne, Jacques Pierre le communique aux Vénitiens quelques jours après. On trouve, dans la correspondance ollicielle de l’ambassadeur, le brouillon en français de la lettre que Jacques Pierre écrivait sur cela au gouvernement vénitien, et la minute de la traduction italienne (