256 HISTOIRE DE VENISE. formules bienveillantes. Le baron de Thugut prenait soin de dire que l’empereur voulait maintenir la Lombardie dans son état antérieur, pour écarter toute idée de la cession de ce duché. Scs insinuations avaient un double objet ; d’abord de procurer une diversion favorable aux armes autrichiennes, si la paix n’avait pas lieu, et puis de persuader aux Vénitiens que la France projetait le démembrement de leurs États, tandis que l’Autriche n’avait aucunes vues sur leur territoire. Or, pour juger de la sincérité du baron de Thugut, il ne faut que se rappeler que, dans ce moment et depuis longtemps, il était question d’indemniser l’Autriche aux dépens de Venise. Les Autrichiens avaient demandé un armistice de deux mois. Le général français, qui craignait qu’on ne profitât de ce délai pour organiser l’insurrection hongroise, n’accorda, comme je l’ai dit, qu’une suspension d’armes de cinq jours. Le gouvernement vénitien mettait alors à encourager sa levée en masse tout le soin que l’Autriche pouvait désirer. Les affaires des Français allaient assez mal dans le Tyrol. Ils n’avaient laissé que douze mille hommes en Italie, dont quatre mille gardaient la Romagne, et huit mille étaient dispersés depuis le Tagliamento jusqu’aux frontières du Piémont. Les généraux sentirent de quelle importance il était de ne pas laisser priver l’armée de ses subsistances et couper la ligne de communication avec le Milanais. En conséquence, ils travaillaient à désarmer les paysans ; ceux-ci se retiraient dans les montagnes; la flottille française qui était sur le lac de Garde canonnait les villages qui ne voulaient pas remettre leurs armes, et le provéditeur de Vérone écrivait le 11 avril, « que, d’après la fidélité et l’ardeur que manifestait cette population, il fallait espérer que, de sa retraite, elle pourrait choisir un moment favorable pour envelopper une seconde fois les perturbateurs de son repos ; qu’en attendant, il envoyait aux fidèles montagnards des chefs et leur fournissait les moyens de fabriquer de la poudre. » On évaluait la levée en masse de la province de Vérone à trente mille hommes. Un comité fut établi dans cette ville, pour seconder ces dispositions militaires par des mesures de police vigoureuses. Les prisons se remplirent de tout ce qui était suspect de quelque partialité pour la France. Il étaitnaturel que les démonstrations de joie qui trahissaient les espérances de cette population conjurée fussent pour les généraux français des sujets d’inquiétude; ils en rendirent compte à leur chef, qui, sur-le-champ, jugea nécessaire de substituer les formes péremptoires d’une sommation militaire aux procédés de la diplomatie. XXXV. Un de ses aides-de-camp arriva à Venise avec deux lettres, l’une pour le ministre de France, l’autre pour le doge, à qui il avait ordre de la remettre en présence du collège assemblé. L’audience fut assignée pour le 18 avril. L’aide-de-camp fut introduit dans le collège, où il lut à haute voix la lettre suivante : « Toute la terre-ferme de la sérénissime république de Venise est en armes; de toutes parts les paysans, que vous avez armés et soulevés, crient Mort aux Français ! plusieurs centaines de soldats de l’armée d’Italie en ont déjà été victimes. C’est en vain qùe vous désavouez des rassemblements que vous-mêmes vous avez organisés. Croyez-vous que, dans le moment où je me trouve au cœur de l’Allemagne , je ne puisse pas faire respecter le premier peuple de l’univers? croyez-vous que les légions d’Italie souffriront les massacres que vous excitez? Le sang de mes frères d’armes sera vengé. 11 n’est pas un bataillon français qui, chargé de cette noble mission, ne sente redoubler son courage et tripler ses forces. Le sénat de Venise a répondu par la perfidie la plus noire à nos généreux procédés. Je vous envoie mon aide-de-camp pour vous porter celte lettre, qui vous déclare la guerre ou la paix. Si vous ne vous empressez de dissoudre les attroupements, si vous ne faites arrêter et consigner en mes mains les auteurs des assassinats, la guerre est déclarée. Le Turc n’est pas sur votre frontière, aucun ennemi ne vous menace; cependant, de dessein prémédité, vous avez fait naître des prétextes, pour former un attroupement dirigé contre l’armée. Il sera dissipé dans vingt-quatre heures. Nous ne sommes plus aux temps de Charles VIII. Si, contre les intentions notoires du gouvernement français, vous me réduisez à faire la guerre, ne croyez pas qu’à l’exemple des assassins que vous avez armés, les soldats français dévastent les campagnes des innocents et malheureux peuples de la terre-ferme. Je les protégerai, et ils béniront un jour jusqu’aux crimes qui auront contraint l’armée française à les soustraire au joug de leur tyrannique gouvernement. » XXXVI. Le doge répondit à l’aide-de-camp que l’affaire serait soumise à la souveraine délibération du sénat, qui toujours avait nourri des sentiments de loyauté et d’amitié sincère pour la république française. Quand cet oificier se fut retiré, on lut une note du ministre de France, qui reproduisait, sous des formes moins insolites, les demandes du général en chef, et on délibéra le jour même la réponse suivante : 15 avril 1797. Louis Manini, par la grâce de Dieu, duc de Vcuise, elc. Au général Bosaîarte , commandant en chef t’armée d’Italie. « Dans la profonde douleur qu’a du nous causer