PIÈCES JUSTIFICATIVES. 889 eurent lieu à Venise au mois de mai 1GI8, et que l’on jugea à propos de colorer par la supposition d’une conjuration, avaient eu pour véritable cause une intrigue dont l’auteur était le capucin connu sous le nom de père Joseph. » Ce moine intrigant, dit-il, qui sut dans la suite se rendre si nécessaire au cardinal de Richelieu, avait fait valoir le projet d’une entreprise en Levant comme le meilleur moyen de donner de l’occupation aux seigneurs français, les plus portés à ca-' baler contre la faveur dominante du duc de l.uynes. Ün désignait le duc de Nevcrs comme l’un des chefs de cette entreprise, et l’on avait proposé au duc de Savoie d’en prendre le commandement. « Ce prince s'aperçut d’abord qu’on cherchait à l’engager dans quelque expédition lointaine, pour donner un aliment à son esprit actif et ambitieux, en le détournant de ses anciennes vues qui donnaient de l'inquiétude aux deux cours alliées (celles de France et d'Espagne). CharIcj-EmmanucI ne parut point avoir pénétré leurs intentions : il feignit de | donner les mains à l’entreprise, pour en connaître le secret, et un Français nommé Renaud, son agent à Venise, fui chargé en apparence d’en concerter les préparatifs avec les ambassadeursde France cl d'Espagne, dont il eut ordre de suivre avec soin toutes les démarches. Renaud fut arrêté comme complice d'une conjuration, ainsi que le capitaine Jacques Pierre, agent du duc de Nevcrs pour la croisade. L’un et l’autre perdirent la vie, et la république put craindre d'offenser la cour de France, par le supplice de deux Français envoyés à Venise pour une expédition que cette cour favorisait. On connaissait la jalousie des Vénitiens à l’égard de leur navigation et de leur commerce au Levant, et l’on se rappelait les traverses qu’ils y avaient suscitées autrefois aux puissances donlla prépondérance leur faisait ombrage. Celles-ci pouvaient leur supposer encore la même jalousie et la même opposition secrète au succès de cette croisade. Il importait donc au sénat de détourner les soupçons que ces exécutions mystérieuses pouvaient faire naitre, et la combinaison des circonstances rapportées par Siri et d'autres historiens, lie à cet embarras du sénat la prétendue découverte de la conjuration espagnole. « S'il est vrai que cette conjuration fut une chimère, l’entreprise du Levant, exécutée et abandonnée alors, pouvait faciliter l'explication d'un fait si mystérieux, l/arrivée d’un chiaoux turc, daus ces entrefaites, comme envoyé du sultan Osman, après son avènement au trône, parut une circonstance trop extraordinaire pour ne pas donner quelque prise aux conjectures sur les moyens secrets auxquels la république devait le rétablissement de sa bonne intelligence avec la Porte. Comme les Turcs se mettaient alors en état de repousser une entreprise dont ils se croyaient menacés, on crut que le secret de celle dont Jacques Pierre était l'agent, avait été révélé au divan par le baile de la république. I.e chiaoux exigea la punition exemplaire de ce capitaine français, sous prétexte de ses pirateries. Renaud, son complice, fut aussi sacrilié au ressentiment de la Porte. « 11 était agent du duc de Savoie, de ce prince avec qui la république entretenait d'étroites liaisons. Cependant Charlcs-Emmanucl n’en porta aucune plainte, ce qui fait présumer qu'il connaissait le vrai motif de la conduite du sénat, et qu’on souleva pour lui le voile politique sous lequel le coii-seildesüix enveloppa l’affaire, qui changea de nature entre ses mains. Il fallait que ce voile fut assez épais pour cacher à la France les démarches de la république envers la Porte, et que les puissances chrétiennes lie pussent reprocher au sénat d'avoir révélé leur secret au divan et de lui avoir sacrilié les agents de l'expédition du Levant. Le sénat désirait aussi de se débarrasser des troupes que le comte Jean de Nassau avait amenées d’Allemagne, l’année précédente, au service de la république, et qui, licenciées à ta paix, maraudaient depuis lors, faute de paie, dans les Étals vénitiens. ii Mais, ce qui importait davantage, c’était de préserver Venise et l’Italie du joug de l’Espagne, et de se soustraire aux desseins ambitieux de scs ministres. Diriger contre ceux-ci, et surtout contre Bedcmar, les soupçons du peuple, et forcer cet ambassadeur à quitter la partie, en lui imputant une conjuration dont la découverte exigeait les précautions sévères que la république venait de prendre pour sa conservation; Taire craindre aux soldats allemands un sort pareil à celui de plusieurs de leurs officiers enveloppés dans le complot, pour les obliger de se retirer à la hâte, en évitant ainsi à l'Etal qu'ils avaient servi, l'embarras de solder leurs comptes; c'était tourner à son avantage en Italie, les précautions mêmes que le sénat était obligé de prendre pour rendre impénétrable sa conduite dans le Levant. « Tel paraitavoir été son but, et c'est ainsi qu’il se retira d’une conjoncture très-critique. On a vu que Charlcs-Emmanucl, en se prêtant en apparence aux propositions de la France et de l’Espagne à l’égard de la croisade, avait paru donner dans le piège que ces cours lui tendaient; mais il tourna l'artifice contre ceux mêmes qui l’employaient; et en faisant servir ce projet d’expédilion lointaine à resserrer ses liaisons avec la république de Venise, d’où dépendait alors la liberté de l’Italie, il laissa au sénat le soin de tirer du secret qu'il lui avait communiqué,