LIVRE XXXVIII. 261 nitien ajoutait que, réel ou non, ce projet serait déjoué, si la république persistait fermement dans ses anciennes maximes. Il est évident que tant que la paix était encore incertaine, les Français, pour forcer l’empereur à se déterminer, n’avaient rien de mieux à faire que d’organiser promptement la nouvelle république lombarde, et de se rendre maîtres dans la république de Venise, qui avait eu soin de leur fournir des prétextes plus que suffisants. Si la paix définitive se négociait sur les bases déjà convenues, l’empereur devait être impatient de la signer, pour entrer en possession de ses nouvelles provinces, et pour que les Français n’eussent pas le temps d'y semer l’esprit d’insurrection. Si on convenait de donner à l’empereur d’autres indemnités, la France se trouvait avoir dans les mains un objet d'échange, qui pouvait faciliter divers arrangements. Si la guerre devait se rallumer, cette république devenait une utile auxiliaire. Venise était une forteresse, un arsenal, un magasin, un port de mer. On va voir que, dans le cours de la négociation, le général dut croire plus d’une fois les hostilités prêtes à renaître. 11 ne pouvait pas, comme dans la campagne précédente, laisser derrière lui une nation ennemie. Il fallait bien qu’il s’assurât d’elle par l’occupation de son territoire. VI. Le manifeste qui déclarait la guerre, le général en chef et l’armée, arrivèrent presque en même temps à Trévise. Là se trouvait, comme provédi-teur, Ange Justiriiani, qui ignorait la situation actuel le des affaires dans la capitale, la communication de cette place avec le continent étant interceptée depuis deux jours. II crut devoir faire une visite au chef de l’armée; mais à peine lui eut-il renouvelé les protestations accoutumées de l’amitié de son gouvernement pour la France, que le général l’interrompant, lui dit « que les deux républiques « étaient en guerre ; qu’il voulait détruire celle de « Venise dans peu de jours, et que, quant à lui, il « eût à partir dans deux heures, sous peine d’être « fusillé. » Ange Justiniani eut la fermeté de répondre qu’il ne dépendait que de son gouvernement, et qu’il ne pouvait quitter son poste sans en être rappelé; à quoi le général répliqua, avec un air d’indifférence: « Eh bien ! vous serez fusillé. » (1) Il n’eu était pas aussi sûr qu’il le disait, car voici comme il s’exprime lui-méme sur la force de cette place: » Venise était d’une grande force; elle était défendue par ses lagunes, une grande quantité de bâtiments armés, quinze mille Esclavons formaient la garnison. Maîtresse de l’Adriatique, elle pouvait recevoir encore de nouvelles troupes. Enfin elle recélait dans son sein la force morale de Le provéditeur se décida cependant à partir pour Venise. En entrant à Marghera, sur le bord des lagunes, il y trouva le général arrivé avant lui, et déjà en conférence avec les deux députés porteurs de la délibération du grand-conseil, qui offrait de se prêter à une modification dans la forme de l’État. Un armistice de cinq jours venait d'être arrêté; chose singulière qu’un armistice entre deux nations qui n’étaient point en guerre. Le général, toujours très-irrité, demandait la tête des trois inquisiteurs d’Étal, et surtout, ajoutait-il, celle de l’amiral du Lido. Dans la nuit du 2 mai, les quarante-trois personnes qui avaient assisté à la première conférence, se réunirent chez le doge. Tousles fronts étaient pâles, toutes les voix altérées. On lut, dans celte assemblée frappée de terreur, le rapport des députés. VII. « Nous avons trouvé, disaient-ils, le général Bonaparte sur le pont de Marghera, à la tête de ses troupes : il nous a accueillis avec civilité, et a pris connaissance de la délibération du grand-conseil. L’unariimitédessuffragesdonl nous lui avons rendu compte l’a frappé; cependant, revenant à sa méfiance ordinaire, il s’est informé si tous les détenus étaient réellement élargis, et si la délibération, qu’il a voulu lire lui-meine, contenait sans équivoque lus pleins-pouvoirs pour traiter. Mais aussitôt s’interrompant, il a ajouté qu’il était inflexible ; qu’il n’y avait point de traité à faire, tant que les Français assassinés et le capitaine Laugier ne seraient pas vengés par le sang des trois inquisiteurs (l’État, du commandant du fort et du grand-amiral (il voulait dire le commandant de la station du Lido) ; qu’autrement dans quinze jours il serait maître de Venise, que les nobles vénitiens ne se déroberaient plus à la mort qu’en se dispersant pour aller errer sur la terre, comme les émigrés français ; que leurs biens dans les provinces déjà conquises allaient être confisqués; que les lagunes.ne l’épouvantaient pas; qu’il les trouvait conformes à l’idée qu’il s’en était faite, et sur laquelle il avait arrêté ses plans (1). « Tous nos arguments furent inutiles, nous lui demandâmes au moins du temps et des explications. D’abord il ne voulait nous accorder que vingt-quatre heures pour lui rapporter une réponse définitive àMantoue. Quantauxexplications, il nous dit, qu’à-près cette réparation, le calme renaîtrait dans la république, qu’elle recouvrerait ses États, qu’elle en toutes ces familles souveraines qui allaient combattre pour leur existence politique. Qui pouvait évaluer le temps que nos troupes seraient retenues à celte entreprise? et pour peu que la lutte se prolongeât, de quel effet ne pouvait pas être une telle résistance sur le reste de l’Italie? » (Mémorial de Sainle-Hétène, t. IV, p. 51.)