LIVRE XXVII. 41 perdu quatre ou cinq mille hommes, parmi lesquels ou comptait quinze capitaines vénitiens : le nombre des blessés était infiniment plus grand. La perte des Turcs était impossible à évaluer; on la fait monter à trente mille hommes; c’est beaucoup sans doute pour un combatde mer; cependant si on veut considérer qu’ils eurent dans cette journée à peu près deux cents vaisseaux pris, brûlés, coulés à fond ou échoués, on concevra que le nombre de leurs morts ne put être que très-considérable. Mais les cliiourmcs des galères turques étaient composées d’esclaves chrétiens, et dans celle des alliés il y avait un grand nombre d’esclaves mabométans, de sorte que de part et d’autre il ne s’était pas tiré un coup de canon dont l’effet ne dût être déplorable. C’était la plus grande bataille navale qui se fut donnée depuis celle qui, seize siècles auparavant, et au même lieu, avait décidé de l’empire du monde. Le succès était du sans doute à la bravoure des combattants; mais on remarqua aussi que les galéasses vénitiennes, quoique en bien petit nombre, puisqu’il n’y en avait que six, avaient puissamment contribué à mettre le désordre dans l’armée ennemie, par la supériorité de leur artillerie, et parce que, placées comme six redoutes, en avant du corps de bataille, elles avaient forcé les Turcs de rompre leur ligne, pour parvenir à celle des alliés. Les Ottomans n’avaient qu’une très-faible mousqueterie ; ils se servaient d’arcs et de flèches; celte manière de combattre, beaucoup plus fatigante que l’arquebuse, était beaucoup moins meurtrière; enfin on reconnut, dans la construction des galères vénitiennes, un avantage notable, en ce qu’ayant une proue beaucoup moins élevée au-dessus de l’eau, leurs coups atteignaient plus sûrement le corps des bâtiments ennemis, et produisaient beaucoup plus d’effet. Qui aurait cru qu’une victoire aussi éclatante dût être sans résultat? Le lendemain de la bataille, 011 proposa de mettre des troupes à terre pour s’emparer de Lépante; mais on ne trouva que cinq mille hommes disponibles, et ce nombre fut jugé insuffisant. On voulut quelques jours après tenter une expédition sur Sainte-Maure; cette entreprise fut jugée encore trop difficile. On s’arrêta à la résolu-ll°n de parcourir les côtes de la Morée, pour y exciter des soulèvements contre les Turcs, et s’emparer de quelques-unes de leurs places ; mais de nouvelles objections firent presque aussitôt abandonner ce projet. Don Juan, soit qu’il fût obligé de se rendre aux conseils de quelques officiers dont 011 lavait entouré, soit qu’il éprouvât l’impatience, *Jien naturelle à son âge, d’aller recevoir les applaudissements que lui méritait une si brillante 'ictoire, ue parla plus que de ramener la flotte es- pagnole à Messine. Les hommes circonspects no cessaient de répéter que la saison de l’hivernage arrivait. O11 perdit quelques jours à faire et à combattre des projets, et on finit par rentrer dans Corfou, ou les alliés laissèrent les Vénitiens, pour se retirer chacun dans leurs ports. Il semblait qu’on n’eûl fait un si prodigieux armement, qu’on n’eûl risqué une grande bataille et détruit la Hotte ennemie, en essuyant soi-même des pertes considérables, que pour éprouver qui serait le plus diligent à réparer ses pertes. XVII. Les Vénitiens comprirent qu’il n’y avait rien à espérer d’une coalition, surtout pour une guerre maritime, et que,s’ils s’étaient réduits à user de leurs propres forces, ils auraient pu, non pas gagner l’inutile bataille de Lépante, mais mieux défendre leurs colonies. Pendant qu’ils remettaient leur flotte en état, ils apprirent que le grand-seigneur en armait une nouvelle qu’on disait plus considérable que la première; en effet, dès le printemps de 1372, une avant-garde de soixante galères turques ravageait les colonies vénitiennes de l’Archipel. La flotte vénitienne, après avoir vainement appelé et attendu les Espagnols à Corfou, pour entreprendre une nouvelle campagne, se détermina à les aller chercher à Messine; la difficulté fut de les décider à se mettre en mouvement. Au lieu de plus de cent galères que le roi d’Espagne devait fournir, on ne put en obtenir que vingt-deux. Avec ce faible renfort, et vingt-six galères fournies par les autres confédérés, il n’était guère possible d’aller à la rencontre de l’cfrmée turque, déjà forte de deux cents voiles. On voit ce que c’était que la puissance ottomane, qui, après avoir perdu deux cents galères au mois d’octobre, déployait des forces non moins considérables au mois de mars. Enfin les alliés se mirent en mer,et on se trouva en présence de l’ennemi, devant Pile de Cérigo : (le part et d’autre on manœuvrait avec circonspection : deux divisions se canon-nèrent sans qu’il en résultât pour l’une ni pour l’autre un avantage notable; les chrétiens se seraient décidés peut-être à hasarder le combat, mais un bâtiment arriva qui apportait la nouvelle de l’approche do don Juan avec cinquante galères et trente-trois vaisseaux, et l’ordre à la flotte combinée de venir au-devant de lui ; il fallut rétrograder jusqu’à Corfou. La jonction opérée, l’armée se trouvait composée de cent quatre-vingt quatorze galères, dix galéasses et quarante-cinq vaisseaux armés; mais on ôtait déjà au mois de septembre : qu’espérer de ces grandes flottes qui ne se trouvaient réunies qu’au commencement de Carrière-saison? L’armée turque, qui était sur la côte de Jloréc, eut soin d’éviter le coin-