258 HISTOIRE DE VENISE. teignaient les soupçons d’Oltolini (1). L’insurrection fut spontanée, soudaine, générale, et aurait pu êlrc sanglante, sans les troupes françaises, qui n’y prirent d’autre part que d’enipécher les désordres par leur présence. On assurait que le commandant de Bergame, pressé par les habitants insurgés de s’unir à eux, avait répondu que ce qui se passait ne pouvait le concerner sous aucun rapport, et qn’il n’avait ni ordre, ni secours, ni conseil, à leur donner. Si, comme les relations françaises l’attestent, ce commandant fit cette réponse, elle était conforme aux instructions qu’il avait reçues. Elles lui défendaient, et ceci est positif, de se mêler directement ni indirectement, des dissensions domestiques qui pouvaient éclater dans i’État de Venise ; annonçant que, si on se permettait de hasarder quelque démarche qui put compromettre la neutralité française, une punition éclatante en prouverait aussitôt le désaveu. A cela on pourrait ajouter que, dans la relation de ces événements, qui fut publiée à Bergame, relation signée de tous les nouveaux fonctionnaires et du clergé, on n’attribuait aucune part aux Français dans celte révolution, dont les Bergamasques réclamaient tout l’honneur. On ne pouvait révoquer en doute que celte révolution n’eùt été volonlaire, et, sinon unanime, du moins appuyée de l’assentiment d’une grande partie de la population, en voyant à l’instant les autorités populaires organisées, une garde nationale sous les armes, et toutes ces innovations consacrées par le concours des ministres de la religion et par un sermon de l’évêque. Je ne prétends ni concilier ces deux versions, ni leur en substituer une qui soit plus exacte. 11 est probable que dans l’une et l’autre il y a de l’exagération. S’il est difficile de croire que les Français n’aient pris aucune part à ce mouvement populaire, il le serait tout autant de penser qu’ils ont eu besoin de recourir à la violence pour le faire éclater. On ne peut se refuser à la conviction que la révolution française, la conquête de l’Italie, l’établissement d’une république à Milan, n’aient été les causes premières de la révolution de Bergame; mais il est impossible de déterminer la part active, directe, immédiate que les Français y onl prise. Je ne doute point que beaucoup d’entre eux n’aient parlé sur (1) o Le 13 mars, l’armée française passa la Piave. Aussitôt que Pesaro en fut instruit, il expéiiia à Bergame l’ordre de faire arrêter et traduire devant le conseil des Dix, quatorze des principaux citoyens de cette ville. C’étaient les chefs du parti patriotique; mais ceux-ci, prévenus par un commis de Venise, qui était dans leur parti, interceptèrent le courrier porteur de cct ordre, arrêtèrent le provédileur ce sujet avec indiscrétion. La même impartialilé m’oblige d’ajouter que les chefs les désavouèrent, cl de faire observer que, si ccs chefs eussent été les provocateurs du mouvement, il se serait bien plus rapidement propagé, et qu’on les aurait vus figurer dans l'insurrection de Ilrescia, qui éclata quelques jours après; or, toutes les relations, même celle du provéditeur, portent que celle-ci fut l’ouvrage d’une centaine d’habi(anLs, qu’on nomme pour la plupart, et qui, s’étant rassemblés à quelque distance de la ville, s’avancèrent vers les portes. XXV11I. Le provéditeur leur envoya demander ce qu’ils voulaient; ils répondirent qu’ils étaient suivis de cinq cents hommes de Bergame, de dix mille Cisalpins, de beaucoup de Français, qu’ils entendaient entrer dans Brcscia, et que tout serait mis à feu et à sang si on faisait la moindre résistance (17 mars 1797). Le provéditeur, quoique ayant une garnison assez forte, fit ouvrir les portes à cette poignée d’insurgés, laissa désarmer ses troupes, arrêter les magistrats, enfin opérer une révolution dans la ville, sans qu’on eût aperçu ni gens de Bergame, ni Cisalpins, ni Français. Il est vrai de dire que le château était occupé par les troupes françaises; mais il est reconnu qu’elles ne prirent aucune part à cette affaire, et même qu’elles n’en eurent pas l’occasion, tant la faiblesse du provéditeur avait aplani toutes les difficultés. Quelques jours après, et presque en même temps, on vit répandre deux pièces fort différentes; l’une était un mandement de l’évêque de Brescia, Jean Nani, où il exhortait scs ouailles à la concorde, au nom de cette religion, qui, disait-il, prescrit l’obéissance et la fraternité, abhorre les vaincs distinctions et les privilèges, et forme des chrétiens une seule famille, qui exclut toute ombre de despotisineetde servitude. « Et vous, ajoutait-il, en finissant, mi-« nistres du sanctuaire, qui partagez avec moi le « soin de la vigne de Jésus-Christ, concourez à « éloigner ce zèle mensonger qui y porte la désolait tion, prêchez la paix, et donnez une juste idéedu « gouvernement démocratique. » L’autre pièce était une proclamation de ce même provéditeur Baltaja, qui s’était retiré à Vérone. ii Le fanatisme de quelques brigands, ennemis de l’ordre et des lois, a excité, disait-il, le peuple de Bergame à devenir rebelle à son légitime souverain, lui-même, et proclamèrent la liberté de Bergame,le 14 mars* Ils envoyèrent au général français, pour l’en prévenir, des députés qui ne purent l’atteindre que sur le champ de bataille du Tagliamento. Cet événement le contraria beaucoup, mais il était sans remède.» [MémorialdeSte-Hélène, t. IV, p. 35.)