110 HISTOIRE DE VENISE. Cette lettre est du 10 octobre, le complot avait été découvert le 11 mai; ainsi tes auteurs qui disent qu’on ne rendit des actions de grâces à la Providence que quelque temps après, ont raison. 20. Communication du conseil des Dix, du 17 octobre 1018. Le conseil des Dix, considérant qu'il est utile de donner connaissance au gouvernement des machinations tramées contre la république à Naples, à Milan, et dans cette capitale même, a délibéré de lui Taire savoir ce qui suit : Au commencement du mois de mars dernier, un Français de la province de Languedoc, nommé Mont-cassin, âgé d’environ trente ans, d’une naissance honnête, homme de courage, d'exécution cl d’un esprit délié, arriva à Venise. Il était, disait-il, parti de France cinq mois auparavant, et avait passé par (iénes, Florence et Rome. L'étaient les circonstances de la guerre où l’on était alors, qui l’avaient attiré. Il obtint des sages du conseil un emploi militaire, et offrit de lever une compagnie de trois cents mousquetaires français, l’eu de jours après, le capitaine Jacques Pierre, un des chefs de la conjuration, étant arrivé (Ici te conseil des Dix n'est /tas exact, il y avait dix mois que Jacques Pierre était arrivé et qu'il lui donnait des avil sur les projets du duc d’Os-sone;ceta est incontestable), jugea que ce Mont-cassin, qui passait pour un homme habile, pourrait être employé utilement dans l’exécution des mauvais desseins que lui, Jacques Pierre, méditait. Il viril un jour dans l’église de Saint-Marc, l’accosta et commença à le circonvenir par quelques caresses, l’invita à dîner, le mena coucher dans sa chambre, et, après lui avoir fait promettre le secret, inéinc avec serment, lui communiqua ses perfides projets, le dissuadant de servir la république, lui mettant sous les yeux les longueurs qu'on éprouve avant d’être expédié ; lui rappelant l'exemple de tous ceux qui étaient venus pour prendre du service et qui en étaient partis mal satisfaits; lui disant enfin que c’était un miracle que cette ville eût échappé si longtemps à une surprise. Il lâcha de le séduire par l'appât de la gloire, lui représenta combien il était facile de s'emparer de cette capitale, où il n’y avait point de troupes et où il suffisait d’un bâton pour mettre tout le monde en fuite. Il ajoutait qu'il éprouvait le désir de s’en rendre maître; qu’en Turquie, il avait réussi dans une entreprise semblable sans perdre un seul homme; qu’ici il n’y a»ail que des hommes de robe, et que personne n’y élail familiarisé avec la guerre. Jacques Pierre, avec quelques autres des siens, conduisit Monlcassin au haut du clocher de Saint- Marc; de là il lui montra les deux passes qui communiquent avec la haute mer, et lui dit que tout le monde ne connaissait pas ces passes aussi bien que lui ; que, pour y entrer, il ne faut pas venir en droiture, mais obliquement; qu’il en avait la pratique et qu’il était sùr de conduire un vaisseau sans difficulté jusqu’à la place Saint-Slarc. Du haut du clocher il lui montra du doigt la monnaie en lui disant : « N’csl-ce pas un péché que tout cet argent n’appartienne pasà un monarque? les gens de guerre en seraient bien autrement récompensés ; ici on accorde plus d’honneur à des laquais qu’à des militaires. » Il ajouta qu’il y avait bien quelques gardes dans les forts, où autrefois on ne tenait personne, mais que ce n’était que de la canaille; qu'il avait demandé de l’argent à l’ambassadeur d’Espagne pour y introduire des soldats, outre les trente ou quarante qui y étaient; cl que l'ambassadeur lui avait promis plus qu’il n’avait demandé. Jacques Pierre l’avait engagé à écrire à Naples pour qu'on resserrât sa femme, de lui Jacques Pierre, plus étroitement, et qu’on eut soin de faire grand bruit de celle rigueur, afin de mieux voiler les projets dont on élail convenu. El cela cul lieu en effet ; mais celte femme, après qu’un eut appris à Naples la mort de son mari, fut relâchée et renvoyée à Malte dans sa maison. Jacques Pierre continua de parler avec mépris des Vénitiens, les accusant de manquer de courage, et de n’élre adonnés qu’à la table et au sommeil. Il ajoutait qu'un jour, pendant une procession, quelque bruit s'étant élevé sur la place, les habitants en eurent une telle épouvante, qu'ils sc précipitaient les uns sur les autres en criant à la trahison; et que si, dans ce moment, trois cents mousquetaires s’é-taient présentés, ils auraient pu faire tout ce qu'ils auraient voulu; que, s’il lui donnait sa parole, il lui révélerait une entreprise conçue par le duc d’Üs-sonc pour s’emparer de cette ville, entreprise que tout semblait favoriser. Là dessus il lui dil qu'au premier avis, le duc lui enverrait deux ou trois galions avec cinq cents hommes, tous gens de main (l);que, quand ils seraient à soixante milles du port, une felouque viendrait l'eu avertir; que les bâtiments profileraient de la première nuit favorable pour venir mouiller près du rivage; qu’on prendrait les armes, qu’on mettrait le feu en divers endroits pour faire courir le peuple de tous côtés; que le capitaine Langladc, profitant du désordre occasionné par l'incendie, metlrait le feu à l'arsenal ; qu'on en ferait sauter la porte avec un pétard ; qu'on attacherait aussi qua- (I) Ailleurs on dit trente barque», portant cent bernai» chacune.