Gi HISTOIRE DE VENISE. plutôt que de scandaliser l’univers en ne gardant pas l’interdit. On se contenta de les chasser, et, quelque temps après, un décret déclara les moines réfractaires bannis à perpétuité du territoire de la république, et leurs biens confisqués. Ceux des jésuites s’élevaient à trente mille ducats de revenu dans Venise seulement. Il fut décrété que la loi qui prononçait leur bannissement ne pourrait être rapportée qu’à l’unanimité; qu’auparavant, la proposition serait préalablement discutée dans une assemblée composée de 250 sénateurs au moins, et qu’il faudrait qu’elle y fût admise à la majorité des cinq sixièmes des voix. Défenses furent faites à tous les sujets de la république, sans distinction de condition, de recevoir des lettres d’aucun jésuite, d’entretenir aucun commerce avec eux, sous peine de l’amende, de l’exil et même des galères. Si on recevait une lettre d’un jésuite, on était tenu de la porter sur-le-champ aux magistrats (1). XI. Quand le pape vit que son excommunication, au lieu de forcer la république à l’obéissance, ou de lui susciter au moins des embarras, n’avait n’avait eu d’autre résultat que l’expulsion des jésuites et des capucins, il appela à son secours la politique de tous les princes. Les Vénitiens l’avaient prévenu. Leurs ambassadeurs avaient fait part à toutes les cours des prétentions et des rigueurs injustes du saint-siège, en tâchant de faire sentir que celte cause était celle de tous les souverains. Alors commença une longue négociation, dans laquelle tous les princes catholiques, mais surtout les rois de France et d’Espagne, affectèrent de se porter pour médiateurs. Chacun aspirait à l’honneur d’être (1) Ces détails sont rapportés par De Thou, liv. 137. « ï.e sénat, dit-il, considérait que les jésuites découvraient par la confession les secrets du gouvernement et l’état des familles; qu’ils détruisoienl insensiblement dans le coeur de la jeunesse confiée à leurs soins le respect pour le gouvernement et l’amour de la patrie ; que , depuis l’établissement de la société à Venise, les candidats accoutumés auparavant à faire en public leur cour aux sénateurs, s’éloient affranchis de cet usage de soumission et de bienséance; qu’ils se contentoient,pour parvenir aux charges, de surprendre les suffrages par des visites,des recommandations, des cabales; et qu’au grand détriment de l’État, ces jeunes sénateurs, assurés de quelque crédit et de l’appui des particuliers, se trouvoient en position d’exécuter tout ce qu’ils oseraient entreprendre. « Toutes ces considéralions portèrent le conseil des Dix. dépositaire de l’autorité du sénat, à arrêter qu’on n’entendrait jamais au rétablissement des jésuites dans toules les négociations qui pourraient avoir lieu pour raccommodement. Il fut réglé que si le désir de la paix amenoit la république à se désister de quelques-unes de ses prétentions, jamais elle n’accorderait rien en faveur des jésuites, et que la question de leur rappel serait toujours une affaire tout-à-fail indépendante de la conclusion de la paix. Ces sages sé- l’arbitre de ce différent, sans y prendre un vif intérêt. Ce qui leur importait, c’ctait que celte affaire se terminât, que ce fut par leur influence, et surtout que l’Europe en fût bien informée. Dix ambassadeurs voyagèrentdel’arisetde Madrid à Rome et à Venise, portant des projets d’accommodement, des contre-projets, des ouvertures, des explications, qui détruisaient les choses convenues; des concessions tantôt rejetées, tantôt révoquées après avoir été admises. On épuisa toutes les combinaisons auxquelles pouvaient donner lieu les quatre points en litige. Les cours de France et d’Espagne attachaient un si graiid prix à jouer le premier rôle dans cette médiation, que, dans la vue de se faire accepter pour arbitre, la cour de Madrid fit quelques démonstrations d’armement, afin d’inspirer la crainte qu’elle pourrait se déterminer à appuyer le pape du secours de scs armes, si les Vénitiens se jetaient dans les bras de la France. Le comte de Fuentes, gouverneur du Milanais, qui n’avait pas deux mille hommes à ses ordres, affectait de dire qu’il voulait aller tout armé en paradis. Il suffisait que les Espagnols eussent embrassé le parti de la cour de Rome pour que leurs provinces révoltées se rangeassent du côté des Vénitiens : les Hollandais offrirent au sénat d’envoyer une flotte dans la Méditerranée. Le sénat crut qu’il était de la prudence de refuser ce secours (2). Le pape, qui, dès le commencement de cette affaire, avait déclaré qu’au besoin, ilsaurait employer les armes temporelles, levait des troupes, renforçait ses garnisons, créait un conseil de guerre composé nateurs étoient convaincus que cette seule victoire les dédommagerait amplement de tout ce qu’ils seraient obligés de céder au saint-siège. Ils firent dresser des procès-verbaux de toutes les accusations intentées contre les jésuites, afin d’avoir entre leurs mains des pièces authentiques, pour se dispenser auprès du pape de recevoir ces religieux ; et pour s’autoriser à ne recevoir jamais dans le sein de la république des gens qu’ils regardoient comme les instigateurs de la guerre présente, et toujours prêts à allumer l’incendie dans l’Etat. « Les.procès-verbaux ayant été dressés, on rendit au mois de juin un décret qui condamnoit les jésuites au bannissement perpétuel de toutes les terres de la seigneurie, et qui portoit qu’ils ne pourraient jamais être rétablis que du consentement de tout le sénat. Ce décret portoit encore que, avant qu’on délibérât sur leur rappel, les accusations intentées contre eux et les pièces citées en preuve seraient lues au conseil des Dix, en présence de 230 sénateurs, du nombre desquels seraient exclus tous ceux qui passeraient pour favoriser secrètement le saint-siége : que de plus il faudroit que sur six sénateurs il y en eut cinq qui opinassent pour agréer la proposition. » 2; Histoire des Provinces unies, de Dcjaüdiîs et Ssi-i.ius, liv. 21.