184 HISTOIRE DE VENISE. miner le gouvernement à (les mesures de vigueur que pour les exécuter. Grâce à l’aclivité d’Angclo Emo, au zèle infatigable qu’il apporta dans la correction des abus, les Vénitiens déployèrent avec quelque appareil leurs forces maritimes. Des observateurs politiques ont prétendu que Venise, inquiète de l’apparition (l'une escadre russe dans la Méditerranée et du danger que courait l'empire turc, avait eu la prudence de se ménager une brouil-lerie avec les Barbaresques, c’est-à-dire un prétexte, pour ne pas rester désarmée, pendant qu’une flotte étrangère serait dans son voisinage. Cette explication pourrait bien n’être qu’une subtilité diplomatique; car d’abord ce système de conduite serait tout-à-fait contraire à l’indifférence que la république s’obstinait à manifester, depuis longtemps, pour tous les événements qui se passaient autour d’elle : en second lieu, Venise n’avait pas besoin d’un prétexte pour entretenir une escadre à la mer; c’était son usage, il ne s’agissait que de la renforcer : troisièmement, elle aimait mieux sans doute des Turcs que des Russes dans son voisinage ; mais c’eût été un mauvais moyen de servir les Turcs que d’attaquer une puissance vassale de la I’orte ; enfin ce n’était pas un jeu que d’entreprendre une guerre qui devait coûter des efforts et des dépenses immenses. Les guerres contre les pirates ont rarement de brillants résultats. Emo bombarda Suza, Biscrte et le poste avancé de Tunis qu’on appelle la Goulelte; on combattit pendant trois ans; cette guerre coûtait déjà sept millions de ducats à la république. On désespéra de réduire les Tunisiens à demander la paix, et les anciens conquérants de Constantinople consentirent encore une fois à se déclarer tributaires des régences barbaresques, consommant ainsi la dépendance de leur commerce et l’inactivité de leur marine. Pour faire juger combien ils avaient honte de ces sacrifices, il suffit de dire que la résolution de la paix ne passa dans le sénat qu’à la majorité de soixante-treize voix contre soixante-cinq. On avait, par égard pour l'Espagne, encore plus que pour la sûreté du commerce vénitien , stipulé dans le traité que les sujets de la république ne pourraient transporter, dans les ports des régences, des bois de construction, des munitions navales, ni des armes. Le dey de Tunis, devenu plus exigeant, obtint, en 1792, la suppression de cette prohibition ; de sorte que le commerce de Venise se chargea de fournir des matériaux de construction et des armes aux pirates. Les autres nations en lurent indignées. Les vaisseaux vénitiens qui faisaient ce coupable trafic, furent plus d’une fois arrêtés en pleine mer et confisqués dans les ports d’Espagne ou de Naples. L’Espagne soumit les bâtiments véni- tiens à la quarantaine, ce qui porta un préjudice considérable à leur commerce. C’était sans doute une honte de payer un tribut aux Barbaresques, mais cette humiliation était partagée par des puissances bien plus considérables. Cellcsqui étaient assez fortes pour se faire respecter par les pirates conseillaient à Venise d’emprunter leur pavillon; elle sentit que c’était toujours se rendre tributaire, et de plus dépendante; que, par-là, elle se soumettait à ne faire le commerce qu’avec désavantage; que dès-lors qu’on ne pourrait plus naviguer sous le pavillon de Saint-Marc, on cesserait de construire des vaisseaux dans scs ports, et que bientôt elle n’aurait plus ni commerce, ni navires, ni matelots. Comment prétendre à la souveraineté du golfe Adriatique, lorsque son pavillon n’oserait plus s’y montrer? Ce fut le dernier événement politique de l’histoire de Venise, car on ne peut guère ranger sous ce titre une discussion que le gouvernement eut avec la république de Hollande ; cette discussion ne fut qu’un procès. XVIII. Le doge Paul Renier succéda à Alvise Monccnigo, en 1779. Il avait été l’un des plus ardents promoteurs de la réforme proposée pour limiter la puissance du conseil des Dix. Son antagoniste Marc Foscarini avait triomphé, et avait été récompensé de son dévouement à l’oligarchie, par la dignité ducale. Renier, homme d’ailleurs d’une grande érudition, surtout dans les lettres grecques, et d’une habileté éprouvée dans les ambassades de Vienne et de Conslaulinople, se montra constamment à la tète du parti qui voulait diminuer l’inlluence des grands. Son élection, qui suivit d’assez près celle de Fosc;;-rini, prouva que déjà les deux partis se balançaient. Sous son règne, un Albanais qui prenait le nom de comte de Zanowitch, trouva moyen de s’introduire auprès du chevalier Cavalii, ambassadeur de Venise à la cour de Naples. Cet aventurier, partant pour un voyage de Hollande, obtint des lettres de recommandation de l’ambassadeur, et en abusa jusqu’à emprunter une somme de trois cent mille (lo-rins, qu’il eut bientôt dissipée. Les banquiers hollandais attaquèrent le chevalier Cavalii en garantie. La question était de savoir si les lettres de recommandation étaient conçues de manière à pouvoir passer pour des lettres de crédit, et si ce crédit était illimité. Cavalii s’étant défendu de payer, le gouvernement de Hollande voulut rendre la république de Venise responsable de la somme. Cette réclamation, présentée avec chaleur, repoussée de même, acquit une telle importance,que les puissances étrangères crurent devoir intervenir; l’empereur offrit sa médiation, pour empêcher les deux républiques