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HISTOIRE DE VENISE.
qu’elle était commandée par le capitan-pacha Jus-suf, qu’immédiatement après le débarquement elle s’était portée sur un petit poste appelé le fort Saint-Théodore, dont le commandant, Biaise Juliani, <lans l’impossibilité de se défendre, avait pris le parti de se faire sauter, avec sa garnison et les Turcs qui venaient l’assaillir; on rapportait que le quar-tier-général du capitan-pacha était à Casal-Galala, que son armée ravageait la campagne et investissait la Canée, place en assez mauvais état, où le gouverneur de l’ile avait jeté à la hâte deux ou trois mille hommes de milices.
  III.	Voici quelle était alors la situation militaire de l'ile. On y comptait sept points fortifiés, tous sur la côte septentrionale. Les Grabuses étaient des châteaux situés dans des îles qui touchent le cap le plus occidental ; de là, en se dirigeant vers l’est et en côtoyant la mer on arrivait à la Canée; cette place était déjà vivement attaquée. Tout près de la Canée, au fond d’un golfe qui s’avance beaucoup dans les terres, était le port de la Suda. C’était là que se trouvait la flotte vénitienne, composée de vingt et quelques galères et de treize vaisseaux, sous les ordres d’Antoine Capcllo. Cet amiral, stationné à quelques lieues de l’armée turque, sentait qu’il ne pouvait, ni se commettre contre des forces si supérieures, ni se jeter dans la Canée, comme il en était vivement sollicité ; parce qu’il aurait couru le risque d’y être bloqué, et que la flotte aurait subi le sort de la place, ou au moins serait devenue inutile. Plus loin, en tirant vers l’orient, était Rettimo; à droite de Rettimo, Candie, la capitale de l’ile, résidence du gouverneur André Cornaro, qui rassemblait à la hâte quelques moyens de défense. Vis-à-vis le port de Candie, à cinq ou six lieues en mer,* était la petite île de Standia, qui offrait un poste avancé, un bon mouillage et un port meilleur que celui de Candie : à l’extrémité du cap, la forteresse de Spina-Longa s’avancait au loin dans la mer : enfin, à la pointe orientale de l’ile étaient la place et le port de Settia. On voit que les deux chefs militaires de la colonie, le gouverneur et l’amiral, se trouvaient assez loin l'un de l’autre, et ayant pour objet principal, l’un la défense du pays, l’autre la conservation de son escadre.
  Le peuple était mal affectionné, ayant eu à se plaindre dans ces derniers temps de quelques gouverneurs.
  IV.	A Ja nouvelle d’une agression si inattendue, on fut à Venise consterné du danger, mais surtout honteux de s’être laissé tromper. Il y eut dans le sénat des avis pour renoncer à la défense de l’île. Cependant ce qui restait d’esprit national dans la métropole, se manifesta par des sacrifices pécuniaires. Le patriarche Jean-François Morosini en
donna l’exemple. Le clergé et les autres ordres de citoyens s’empressèrent de contribuer aux efforts du gouvernement, pour sauver la plus précieuse de leurs colonies. On leva des troupes; on mit en armement tout ce qu’on avait de vaisseaux ; on en fit acheter à Livourne, à Gènes. Le grand-duc de Toscane permit de faire des levées dans ses Étals. On envoya des forces dans la Dalmatie, pour défendre cette province, ou pour opérer une diversion sur les terres des Turcs. Le sénat appela toutes les puissances étrangères au secours d’une ile qu’on croyait le boulevard de la chrétienté ; mais il n’y avait que de médiocres efforts à en attendre. L’empire était dans le trouble. La France, qui voyait commencer la guerre de la Fronde, et qui ne voulait pas rompre son alliance avec la Porte, n’offrit qu’un subside de cent mille écus donnés très-secrètement. L’Espagne faisait de fastueuses promesses. Les Hollandais permirent à la république de fréter leurs vaisseaux à ses dépens. 11 n’y eut que les puissances d'Italie, le pape, le grand-duc de Toscane, et l’ordre de Malte, qui, en se réunissant à l’Espagne, fournirent une (lotie de vingt galères.
  V.	Pendant qu’on s’occupait à Venise de ces préparatifs, le sort de la Canée était décidé. Le siège, poussé avec moins d’art que de vigueur, avait duré cinquante-sept jours ; aussi les généraux turcs, en multipliant les assauts, voyaient-ils les fossés comblés par les cadavres de leurs soldats. On dit qu’ils perdirent, devant cette place, près de vingt mille hommes. Les assiégés, après une si longue résistance, trouvèrent encore des forces pour soutenir un dernier assaut ; il eut lieu le 17 août. On faisait dans ce temps-là un grand usage de la mine dans l’attaque et la défense des places. Les Turcs en firent jouer une qui renversa une partie du rempart. On combattit sur la brèche pendant sept heures; mais ce dernier effort épuisa les moyens d’une faible garnison, dont toute la population, les prêtres, les femmes mêmes, avaient partagé les travaux. Elle capitula, sortit de la place, le 22, avec tous les honneurs de la guerre, et alla se joindre, dans le port de la Suda, aux forces vénitiennes qui s’y trouvaient. Ceux des habitants qui ne purent se décider à s’expatrier, éprouvèrent combien il est dangereux de se fier à la foi des Turcs (1643).
  Tant que la Canée avait tenu, on avait dit qu’elle était le boulevard du royaume; il y avait une fâcheuse conséquence à tirer de sa reddition. Celle conquête donnait aux Turcs trois cent soixante pièces de canon ; un point d’appui pour leur armée répandue dans l’île, et un port pour l’alimenter d’hommes et de munitions. Afin d’être à portée d'y envoyer des renforts, ils établirent leurs dépôts de recrues et d’approvisionnements dans la presqu’île