LIVRE XXXIV. VJ7 Oltoboni, Vénitien, homme peu considérable dans sa république, car son père venait d’acheler la noblesse pendant la guerre de Candie. La politique de ce pape, qui prit le nom d’Alexandre VIII, fut d’occuper les armées impériales contre les Turcs. Les Turcs demandaient la paix; l’cmpercur la désirait, pour pouvoir tourner scs forces contre I.ouis XIV ; niais le pape fit de si grandes promesses de secours aux Vénitiens, qu’il les décida à continuer la guerre. • Un nouveau visir, Mustapha Kiupergli, fils du vainqueur de Candie, voulut se rendre digne de son 1 père et de son aïeul, en rétablissant l’honneur des armes ottomanes. Tandis qu’il marchait contre les Autrichiens en Hongrie, il envoya le capitan-paeha au secours de Malvoisie, dont le siège continuait toujours. Ce fut une raison pour les Vénitiens de prévenir son arrivée, et de faire un effort pour emporter la place d'assaut. Ils y perdirent un millier d’hommes, sans pouvoir pénétrer dans la ville; mais la garnison, réduite à la dernière extrémité, capitula, et la république se trouva maîtresse de toutes les forteresses de la Morée. Cornaro, averti de la sortie de la flotte turque, se porta à sa rencontre, la battit près de Mitylène, et la força de se réfugier dans ses ports. De là il vint sur les eûtes occidentales de la Grèce, enlever aux ennemis l’importante place de la Vallone, dont il démolit les fortifications. Les alliés des Vénitiens ne faisaient pas la guerre avec moins de bonheur. Déjà refoulés dans la Hongrie par l’armée de Mustapha Kiupergli, près d’être battus à Salankemen, ils durent la victoire à l’un de ces hasards de la guerre, qui changent quelquefois la destinée des empires; un boulet emporta la tète du grand-visir, et cette mort mit le désordre dans une armée déjà victorieuse. Les Turcs, battus dans la Hongrie et dans la Grèce, eurent recours, sur d’autres points, à d’autres armes. Ils parvinrent à séduire un oflicier napolitain, qui avait quelque emploi dans la place des Grabuses, l’une des trois que la république avait conservées en Candie. Cet officierleur procura les moyens de surprendre cette ville; ils s’en rendirent maîtres. Des intelligences avaient été pratiquées dans le même objet, avec quelques officiers des garnisons de la Suda et de Spina-Longa; les Vénitiens furent assez heureux pour découvrir à temps et faire avorter ces deux nouvelles trahisons. V. Ces événementsavaient rempli Iesannéesl689 et 1690. Le capitaine-général Cornaro, qui était mort après la conquête de la Vallone, venait d’être remplacé par Dominique Moncenigo; celui-ci avait reçu l’ordre de se porter sur la Canée. C’eut été une brillante expédition que d’enlever aux Ottomans celte île de Candie, qu’on avait défendue avec tant d’opiniâtreté pendant vingt-cinq ans. Mais, au lieu de surprendre la Canée, comme on s’en flattait, on trouva le pacha prévenu du dessein des Vénitiens, et déjà sur la défensive. 11 fallut en venir aux attaques régulières. Les opérations de ce siège traînaient en longueur; cependant on avait déjà livré des assauts, repoussé des sorties, et fait brèche au corps de la place, lorsque le capitaine-général reçut la nouvelle que les Turcs préparaient une expédition contre la Morée (1691). 11 assembla ses officiers, leur fit part de cet avis, et leur demanda s’ils ne jugeaient pas convenable d’abandonner leur entreprise sur la Canée, pour voler à la défensede leur conquête. Tous lui représentèrent que le danger de la Morée ne pouvait être pressant, que les Turcs n’avaient à y envoyer que des milices, dont l’inexpérience ne suffisait pas pour emporter les nombreuses places fortes de ce pays; qu’au contraire, la Canée était aux abois, et qu’il suffisait, pour s’en rendre maître, de prolonger encore dequelques jours un siégequi duraitdcpuis un mois, et qu’on ne pouvait abandonner sans honte. Ces raisons ne firent aucune impression sur Dominique Moncenigo ; il ordonna le rembarquement, et fit voile pour la Morée, où il se trouva qu’en effet les Turcs n’avaient pas pénétré. Un corps de cinq à six milie hommes seulement s’étail présenté devant Lépante, et avait fait au commandant de cette place une sommation reçue avec mépris. 11 fut facile aux Vénitiens de dissiper cette petite armée; mais l’occasion de prendre la Canée était perdue, et cette perte était irréparable. Ce ne fut qu’un cri contre le capitaine-général ; accusé, conduit à Venise et constitué prisonnier, Dominique Moncenigo subit une procédure, qui donna la conviction de son incapacité plutôt que de sa culpabilité. On ne le condamna point, mais on le dépouilla de son grade ; et de généralissime qu’il était, on l’envoya exercer les fonctions subalternes de capitaine d’armes à Vicence. C’est un genre de punition qu’il n’appartient qu’aux gouvernements despotiques d’infliger. VI. La mauvaise conduite de ce général fit sentir encore plus vivement le besoin qu’on avait des talents de François Morosini; un décret le rappela, pour la quatrième fois, au suprême commandement. Né en 1618, il avait alors soixante-quinze ans; malgré ses infirmités, il partit avec joie le 2i mai 1695, cl conduisit la flotte de la république dans l’Archipel , où elle n’eut point occasion de se signaler, les ennemis ayant eu le bonheur d’éviter sa poursuite. Revenu pour hiverner dans le port de Naples de