11G HISTOIRE DE VENISE. arrangement dans lequel les Grisons avaient tout à réclamer, et les Espagnols rien à prétendre, le médiateur commença par demander que la Valteline formât un Etat indépendant, que les troupes espagnoles y eussent un libre passage, et qu’on dédommageât le saint-siége des frais que la garde de ce dépôt lui avait occasionnés. C’était évidemment vouloir laisser les Espagnols maîtres du pays. On eut recours aux armes; le marquis de Cœuvres, à la tête de six mille Français, secondés par trois ou quatre mille Vénitiens, entra dans la Valteline, chassa les troupes du pape, et n’avait plus à combattre que quatre mille Espagnols, qui tenaient auprès de la petite place de Riva. Les Vénitiens, qui attachaient beaucoup d’importance à cette affaire, savaient que la cour de France avait rassemblé une vingtaine de mille hommes; ils n’attendaient, pour donner, que l’arrivée de l’armée française, qui s’était avancée sur les montagnes du Piémont. Mais cette armée, destinée à la réparation d'une iniquité, se disposait alors à en commettre une autre non moins odieuse. Les Italiens doutaient que la France se déterminât à s’engager dans cette guerre, où elle n’avait d’autre intérêt que de contrarier la cour d’Espagne. Les Vénitiens ne voulaient pas se hasarder à en soutenir seuls tout le poids. Le duc de Savoie proposa un plan de campagne, qui ne tendait à rien moins qu’à abattre la puissance de la maison d’Autriche. Il traçait la marche des armées de presque tous les Etats de l’Europe alors ennemis de cette maison, faisait attaquer les Pays-Bas, la Franche-Comté, les Étals héréditaires d’Allemagne, la Hongrie, tandis que les flottes de Hollande et d’Angleterre devaient menacer les côtes d’Espagne. Ce projet ne pouvait manquer d'être accueilli par le cardinal de Richelieu ; mais, pour faire mouvoir toutes ces forces, il fallait un autre bras que celui du duc de Savoie; et, dans un plan si vaste, la Valteline disparaissait; l’intérêt de l’Italie même n’était plus qu’un intérêt secondaire. Charles-Emmanuel, pour se venger des Espagnols, voulait attirer les Français en Italie, et animer ces deux peuples l’un contre l’antre, par un intérêt plus vif que celui qu’ils prenaient aux Grisons ou à la Valteline. IV. Bien persuadé que les politiques ne croient pas devoir aux usurpations d'autre sentiment que la jalousie, il proposa à la cour de France de se venger de la cour d’Espagne, en l’imitant. Les princes ont toujours un penchant secret pour ces sortes de diversions. Le duc de Savoie indiqua Gênes comme une conquête importante et facile, sur laquelle le roi avait beaucoup de prétentions à élever, et dont l’occupation ne pouvait manquer de donner de grandes inquiétudes au cabinet espagnol (1G21). Les Vénitiens, consultés sur ce projet, le repoussèrent; plus prévoyants que le duc, ils savaient combien il est dangereux d'accoutumer les grandes puissances à rétablir toujours l’équilibre entre elles aux dépens des États plus faibles, de sorte qu’une iniquité en amène nécessairement une autre; mais ils se bornèrent à représenter fortement qu'il n'y avait point de raison pour faire porter aux Génois la peine d’une usurpation commise par les Espagnols. Ces représentations n’empêchèrent pas qu’au mois de mars 162Î5, le connétable de Lesdiguières, à la tète de trente mille hommes, n’envahît le territoire de cette république. Attaquée à l’improvisle, elle devait succomber; mais un de ses citoyens, Jean-Jérôme, du nom illustre de Doria, proposa fièrement de prendre le parti d’une courageuse résistance. La jalousie du duc de Savoie et du connétable ralentit les opérations : les efforts des uns, les retards des autres, donnèrent le temps aux secours d’arriver; des troupes vinrent de Naples, de Milan, et les armées de France et de Savoie eurent la honte qu’elles méritaient, de manquer leur entreprise sur Gênes, et de voir les Génois faire le procès à l’ambassadeur de France, raser sa maison, confisquer ses biens, et mettre sa tête à prix. Louis XIIl éprouva un tel dépit de cette vengeance, qu’il écrivait, le 24 mars 1G2Î5, à Rélhune, son ambassadeur à Rome : « Je m’en souviendrai longtemps, « et je ferai châtier ces petits républicains comme « le mérite leur insolence. » Quelque temps après, le 4 octobre, il fit arrêter tous les Génois qui se trouvaient dans le royaume, saisit leurs biens, leurs marchandises, leurs livres de commerce, et promit une récompense de soixante mille livres à celui qui prouverait avoir tué un de ceux qui avaient eu part à la sentence rendue contre l’ambassadeur de France. Les Français eurent à se reprocher d'avoir perdu le moment de profiter des succès qu’on avait obtenus dans la Valteline; les Allemands étaient arrivés en force dans cette province, et le résultat de cette campagne devenait incertain. V. Pendant que les Vénitiens, les Allemands, les Grisons, les Valtelins et le pape négociaient, et épuisaient toutes les combinaisons pour amener un arrangement, on apprit avec surprise que la cour de France, sans consulter ses alliés, avait décidé, d’accord avec le cabinet de Madrid, du sort de la Valteline. Les deux rois avaient prononcé, par un traité conclu à Monzon, que les Grisons seraient ré-tablisdans la situation où ilsétaient avant la guerre; que, par conséquent, ils conserveraient la souveraineté de la Valteline; que celte province ne serait assujettie qu’à un léger tribut; mais que tous les forts en seraient démolis, et que tout autre culte