LIVRE XXXI. 87 , eust aucun fondement, h El le 5 juillet, encore dans une lettre chiffrée : « Plus nous ouvrons les yeulx du corps et de l’esprit, moins nous voyons , dejour et de lumière en cesle grande conjuration; , mais au contraire nous en trouvons plus claire et , apparente la vanité; et autre personne dejugement n’en ha dez le commencement eu lu moindre opinion du monde. » Toute la correspondance de cet ambassadeur atteste son incrédulité, et en énonçant son opinion, il ne la donne pas seulement pour le résultat de ses notions particulières, mais comme partagée par le peuple même de Venise, et par des observateurs d'un autre ordre, à qui 011 pouvait supposer le plus de sagacité. Le cardinal vénitien Vendramini n’avait pas craint de lui dire : « Qu’il s’était moqué de cette eonjura-t lion à l’heure qu’il en avait ouï parler, pour savoir <; les difficultés et impossibilités qui se rencontroient « en ce dessein. » A Rome, le cardinal Borghèse, neveu du pape, et ministre, manifestait la même opinion ; et le pape Paul V, qui à la vérité n’était pas suspect de partialité en faveur des Vénitiens, « Après avoir lasté « plusieurs fois le poulx à luur ambassadeur sur cesle « affaire, sans que celui-ci osât jamais lui en dire « un mot, lui dit, qu’il paroissoit que ses maîtres " «¿(oient allés trop vite, et déclara au ministre de < France, qu’il ne voyoit pas ce qu’on pouvoil ré-« pondre à tanl de bonnes raisons, qui établissoient « la non-existence de la conjuration. » On voit que tous les contemporains de cet événement étaient loin d’admettre l’explication qu’on avait voulu en donner ; cependant ces bruits de conspiration, ces grands attentats médités par une puissance pour en renverser une autre, ont toujours des partisans, et durent en rencontrer à Vertise, comme ils en ont trouvé partout. D’ailleurs les supplices n’étaient point une supposition. L’inquiète curiosité des esprits 11e pouvait qu’être irritée par tout ce qu’il y avait de terrible et de mystérieux dans cetle affaire; aussi en imagina-t-on plusieurs explications. 111. Les uns, frappés de quelques signes de mécontentement qui s’étaient manifestés parmi les troupes licenciées, crurent que les soldats pouvaient avoir en effet comploté de se rendre maîtres de quelque forteresse; que c’était là le seul danger que la république eut couru; et qu’elle en avait puni les ailleurs avec une grande sévérité, prenant peut-être une simple mutinerie pour une trahison; mais alors pourquoi aurait-011 impliqué dans cette affaire , L't compris dans la condamnation, des hommes iui n’avaient, par leur état, par leur nation, aucun rapport avec ces troupes, des étrangers qui se trou- vaient momentanément à Venise, des marins embarqués sur la flotte? D'autres racontaient que l’un de ces marins, Jac-ques-Pierre, était fort odieux aux Turcs, parce qu’il avait autrefois désolé leur commerce; qu’il avait conçu le plan d’une invasion dans la Morée, et que la république en avait sacrifié l’inventeur, pour se faire un mérite auprès de la Porte, à qui elle avait révélé ce projet ; mais quel intérêt avait-on de faire périr plusieurs centaines d’hommes totalement étrangers à un pareil dessein, qui ne pouvaient concourir à son exécution, et dont l’existence devait être indifférente aux Turcs, comme leur perte? L’ambassadeur de France, qui soutenait cette version, était bien en droit d’ajouter :« Il n’y a nul « fondement en ceste cruelle justice, ilz pensent « couvrir ceste barbarie, par ceste apparence de « conjuration. » Ainsi, selon ce ministre, le gouvernement vénitien aurait ordonné l’une des plus sanglantes exécutions juridiques dont l’histoire fasse mention, uniquement pour y envelopper un corsaire odieux aux Turcs, et quelques aventuriers suspects; et quels élaient-ils donc ces hommes? des étrangers obscurs, sans patrie qui put les réclamer, sans amis dans Venise. Quel besoin avait-on de recourir à ce moyen pour s’en débarrasser? Aucun. Et pour qu’on s’aperçût de leur disparition, il ne fallait pas moins que l’éclat et l’horreur de leur supplice. La raison se refuse à admettre une pareille explication. Quelques esprits italiens, toujours disposés à trouver dans la politique des raffinements digues de leur propre subtilité, imaginèrent que tous ces bruits de conspiration tramée par les Espagnols, avaient élé répandus sans avoir rien de réel. Mais quel était donc, selon eux, l’objet d’une imputation odieuse et dénuée de preuves? Quel fruit en tirer, lorsqu’on évitait si soigneusement de donner à cette imputation un caractère officiel? Le voici. La présence du marquis de Bedemar était, dit-on, importune au gouvernement vénitien. Ne pouvant obtenir son rappel, on voulut le forcer à quitter la place, en lui suscitant une affaire qui compromettait son caractère et même sa sûreté personnelle ; et cecoupd’Etat leur parut si heureusement imaginé, qu’ils insinuèrent que la république pouvait bien en avoir été redevable à Paul Sarpi, tant ils avaient de vénération pour ce grand politique! Mais il faut convenir que c’eut été un étrange moyen d’écarter un ambassadeur, que de sacrifier cinq ou six cents hommes innocents, uniquement pour faire courir le bruit d’une conjuration, et exciter la haine publique contre ce ministre étranger. Cet expédient n’avait-il pas des inconvénients plus graves que la présence du marquis de Bedemar à Venise?