92 HISTOIRE DE VENISE. l’Italie, laissant échapper le vœu de les en voir expulsés; ils faisaient entrevoir que le duc d’Ossone serait en état de rendre ce service à la Péninsule, pourvu qu’on Jui fournit quelques secours, et que l’approbation d’une puissance respectable le mit en état de se déclarer. Les Vénitiens étaient trop pénétrants, pour ne pas voir, d’un coup d’œil, ce qu’il pouvait y avoir dans cette révolution d’avantageux pour la république. L’affaiblissement d’une puissance dangereuse, l’acquisition d’un voisin qui aurait besoin d’eux, le prix à exiger pour cette protection, des privilèges commerciaux, la reconnaissance formelle du droit de souveraineté sur l’Adriatique, peut-être même la restitution des quatre ports que la république avait possédés autrefois sur les côtes de la Pouille ; de tels avantages étaient séduisants; il ne s’agissait plus que de calculer la probabilité du succès. Tous les historiens s’accordent à raconter cette négociation, même les Napolitains. Il est constant que ces projets ambitieux furent conçus, et communiqués aux Vénitiens; il est constant qu'ils en délibérèrent, car nous savons que Nicolas Contarini harangua en faveur de celte proposition. « Il n’est pas de meilleur moyen, disait-il, de nous délivrer des appréhensions continuelles que nous cause l’immense puissance de la maison d’Autriche. Non-seulement il faut accueillir les desseins dont il s’agit, mais les fomenter, les appuyer. Une fois le royaume de Naples démembré de la monarchie espagnole, nous verrons cette monarchie réduite à rechercher noire amitié, et le nouveau roi dans notre dépendance. Quel plus grand bienfait pour l’Italie, si ce n’est le fruit même de cet exemple, c’est-à-dire le démembrement du Milanais?» Et ces sentiments étaient tellement partagés par le corps entier du gouvernement, que, longtemps après, le doge Antoine l’riuli, parlant du duc d’Ossone, du traitement qu’il avait reçu des Espagnols, et des vues qu’il avait eues sur la couronne de Na-plcs, dit : « Il était trop heureux pour nous qu’on lui donnât des sujets de ressentiment, parce que l'occasion fait le larron. » On ne rapporte point le traité fait entre le duc d’Ossone et les Vénitiens ; il est évident que, s’il a existé, les deux parties étaient très-intéressées à tenir cet acte secret, et que, le projet ayant avorté, ses auteurs ont dû se garder d’en révéler l’existence. Il est très-possible même qu’un gouvernement aussi circonspect que celui de Venise, se soit refusé, dans une affaire si hasardeuse, à prendre un engagement authentique, et se soit borné à des encouragements, à des promesses. Mais les détails des faits n’en constatent pas moins sa connivence, et prouvent que, s’il n’avait pas promis formellement sa coopéra- tion, il avait au moins laissé entrevoir son assentiment. A partir de ce moment, la conduite du gouvernement vénitien fut telle, qu’elle ne peut s’expliquer que par la connaissance qu’il avait des projets du duc d’Ossone. Tous les amis de la république, qui étaient, par conséquent, les ennemis de l’Espagne et de l’Autriche, devinrent les alliés du vice-roi de Naples. IX. Le Dauphinois Deveynes, confident de Laver-rière, avait écrit en France au garde-des-sceaux Guillaume Duvair, avec qui il était en relation, et lui avait touché quelques mots de la révolution projetée. Celte révolution ne pouvait manquer d’être agréable à la cour de France ; mais une pareille affaire n’était pas de nature à être expliquée et négociée autrement que de vive voix. Deveynes partit de Naples pour Paris, avec des instructions du duc d’Ossone, qui lui recommandaient de sonder; en passant à Turin, les dispositions du duc de Savoie. 11 n’avait garde de traverser le Piémont, sans aller rendre compte de l’objet de son voyage au maréchal de Lesdiguières, son compatriote, qui commandait alors l’armée de France en Italie. Le secrétaire de ce seigneur nous atteste que Lesdiguières accueillit ce projet avec transport, el qu’il en récompensa le porteur, en l’admettant au nombre de ses domestiques. Le duc de Savoie ne reçut pas la confidence avec moins d’empressement; et l’agent continua sa route vers Paris, muni de lettres que ce prince et le maréchal lui donnèrent pour les ministres. Ceux-ci, pour éluder peut-être la nécessité de se décider, jugèrent qu’il était convenable qu’une affaire, où tout dépendait de la juste appréciation des circonstances, fût traitée au quartier-général de l’armée, plutôt que dans le cabinet, llevenu à Turin, Deveynes fût dépêché à Naples, avec des lettres du duc de Savoie et de Lesdiguières, qui encourageaient le duc d’Ossone, et avec l’autorisation de lui promettre toutes sortes d’assistances, à mesure qu’on le verrait avancer dans sa résolution. Laverrière avait profité du temps pour l’y affermir et l’y engager plus avant. Gagner les esprils, rassembler des forces, préparer l’exécution de son projet, sans le laisser pénétrer, était une tâche difficile ; mais, d’une autre part, il était impossible de compter sur l’appui, même sur l’approbation ouverte des puissances étrangères, avant de leur avoir fait entrevoir la probabilité du succès. Il est certain, dit un historien italien, que chacun jouait alors au plus fin, et trouvait dans les maximes d’Etat de ce temps-là, de quoi autoriser la subtilité, et même la fourberie. Aussi tous les princes d’Italie se conduisaient-ils avec tant d’adresse cl do