36 HISTOIRE DE VENISE. comme assurés de la conquête de Chypre. Ils y tenaient seulement une vingtaine de galères, pour bloquer le port de Famagouste. Ou ne pouvait douter que leur dessein ne fut de s’emparer des îles vénitiennes qui bordent le continent de la Grèce. On sut que leur flotte s’était portée sur la côte de Candie. Elle n’avait pas assez de troupes pour entreprendre la conquête de cette Ile ; mais elle y opéra un débarquement de quelques milliers d’hommes, qui ravagèrent les campagnes, et ruinèrent la petite ville de Rettimo, qu’ils trouvèrent abandonnée. Un corps de troupes, sorti de la Canée, tomba sur ces pillards, et les tailla presque tous en pièces. Une tempête qui survint obligea l’amiral ottoman de s’éloigner de ces rivages, et son départ délivra les cinquante galères qui se trouvaient dans les ports de l’ile (1871). Ce généralissime vénitien sentit qu’il pouvait être bloqué dans Corfou, et qu’il ne tirerait aucun parti de ses forces, s’il ne parvenait à les réunir. En conséquence, il donna ordre aux galères qui étaient à Candie de venir le joindre; et, pour hâter sa jonction avec les alliés, il alla au devant d’eux jusqu’à Messine. Les Turcs, en s’éloignant de Candie, se portèrent sur la petite île de Cérigo, l’ancienne Cythère, à la pointe méridionale de la Morée, et la ravagèrent. De là ils se présentèrent devant Zanle et devant Cé-phalonie, dont les habitants s’étaient réfugiés dans les forts. Les villages se trouvant abandonnés, furent livrés aux flammes. Le pacha, s’élevant toujours au nord, se présenta devant Corfou; mais ayant trouvé cette fie en bon état de défense, il se jeta sur le fort de Sopolo, qui lui futouvert sans résistance. Certains que la flotte de la république n’était pas à Corfou, les Turcs se déterminèrent à entrer dans le golfe. Leur apparition sur la côte de Dalmatie y répandit l’épouvante, etscconda puissammentles progrès d’un corps de troupes ottomanes qui assiégeait alors Dulcigno, dans l’Albanie supérieure, au midi de Cattaro. Après avoir emporté cette place, les Turcs suivirent la côte, et soumirent Badua et Otivari, passèrent devant Raguse, et allèrent ravager les îles de Curzola et de Lésina. Toute la population fuyait éperdue, abandonnant ses habitations et ses champs à la merci d’un conquérant dévastateur, se réfugiant dans les montagnes, se jetant dans les villes fortifiées, ou se confiant à de frêles barques pour aller chercher un asile sur la côte d’Italie. La terreur fut grande à Venise, quand onsutque l’ennemi n’était pas à quatre-vingts lieues, et qu’il pouvait arriver, en trois ou quatre jours, à la vue de la capitale, sans qu’on eût la moindre escadre à lui opposer. On s’empressa de couvrir de batteries les bancs de sable qui défendent les lagunes; on ferma les passages avec des pieux, des galères, des chaînes, comme on avait fait deux cents ans auparavant, lorsque les Génois s’étaient avancés jusqu’à Chiozza. Heureusement tous ces préparatifs furent inutiles. L’amiral turc, qui savait que toute la flotte de la ligue devait se réunir en Sicile, ne douta pas qu’elle ne courût à la défense de Venise; il ne jugea pas à propos de l’attendre dans le golfe, et fit voile vers Corfou. En effet, la république effrayée s’était plainte à grands cris de l’inaction de ses alliés. Les galères de l’Église, de Florence et de Malte étaient enfin arrivées à Messine ; mais on y attendait toujours celles d’Espagne. On ne voyait pas même arriver celles de Naples. Ce ne fut qu’au mois d’août que parut la flotte du roi catholique, conduite par un fils naturel de Charles-Quint, don Juan d’Autriche, prince de vingt-deux ans, qui venait prendre le commandement de toutes les forces de la ligue. La jeunesse d’un tel général pouvait effrayer; mais ce fut un bonheur pour les Vénitiens de voir leurs destinées dans les mains d’un chef, que son âge et sa naissance semblaient affranchir de l’extrème circonspection que la cour d’Espagne recommandait sur toutes choses à ses généraux. Don Juan appareilla le 17 septembre, à la tête de deux cent vingt galères, six galéasses et vingt-cinq vaisseaux. C’était au moins deux mois trop tard. Famagouste avait succombé. XII. Les assiégeants avaient reçu des renforts considérables, les habitanls des côtes voisines étaient accourus d’eux-mêmes dans le camp de Mustapha, attirés par l’appât du pillage. La renommée publiait que ces renforts s’élevaient à cinquante mille hommes. Il est certain que l’armée des Turcs était fort nombreuse, et ils disaient eux-mêmes, dans leur langage hyperbolique, que pour combler les fossés de la place, il suffisait que chacun de leurs soldats y jetât une de ses sandales (1571). l’our se défendre contre cette multitude d’assiégeants, il y avait dans la ville trois mille cinq cents hommes d’infanterie italienne et autant de milices du pays. A la tète de cette garnison se trouvaient Astor Baglione, Louis Martinengo, chef de l’artillerie, et Antoine Querini, jeune patricien; mais le soin particulier de la défense roulait sur le capitaine d’armes de la place, Marc-Antoine Bragadino. Dès le mois d’avril, les Turcs avaient commencé les travaux de la tranchée. L’immensité des ouvrages prouvait le grand nombre de bras que Mustapha avait à sa disposition. Dans un développement de plus de trois milles, on avait creusé, souvent dans le roc, non pas un boyau, mais un chemin large et