40 HISTOIRE DE VENISE. la plus ancienne maison de l’Europe, ce nom qui ajoutait tant d’éclat à cette liste, dût un jour en être effacé. En Vod'ô, Marin Grimani succéda sur le trône ducal à Pascal Cicogna. Son élection eut cela de remarquable que, ce doge étant marié, on fit avec une pompe extraordinaire le couronnement de la dogaresse. La cérémonie consistait à aller la prendre dans son palais, d’où elle sortait accompagnée de tous ses parents, des conseillers de la seigneurie, et d’un grand cortège de dames, vêtue d’une robe de drap d’or : coiffée de la couronne ducale, elle montait sur le Bucentaure, qui la portait jusqu’à la place Saint-Marc, où elle débarquait au milieu des fanfares et des décharges de l’artillerie. Là, le grand-chancelier et le sénat la recevaient et l’escortaient jusqu’à l’église. Elle trouvait à la porte le chapitre avec la croix; on lui présentait la paix à baiser, et 011 la conduisait au pied du maître-autel, où elle prêtait serment sur l’évangile, après quoi on entonnait le Te Deum. Elle donnait au primicier une bourse de cent ducats, et au sortir de l’église elle trouvait sur son passage toutes les corporations de la bourgeoisie, qui lui faisaient hommage de leurs présents. Arrivée dans le palais ducal, elle était reçue dans la salle du grand-conseil, placée sur un trône au milieu de toutes les dames qui l’accompagnaient. Des festins et des danses terminaient la fête. Les réjouissances qu’on faisait à cette occasion se prolongeaient pendant plusieurs jours, quelquefois pendant des mois entiers. Le pape Clément VIII, soit pour manifester sa bienveillance envers la république, soit pour honorer Marin Grimani, envoya à la nouvelle dogaresse, qui étaitde la maison Morosini, la rose d’or qu’il a coutume de bénir tous les ans et d’envoyer à quelque prince de la chrétienté. C’était traiter la femme du doge en princesse souveraine. Le sénat ordonna que la rose d’or serait déposée dans le trésor de Saint-Marc, et il est probable que la solennité donnée à ce couronnement fit faire des réflexions qui amenèrent l’abolition de cet usage. IV. Vers la fin du xvi» siècle, en 1Î597, la mort du duc de Ferrare, Alphonse II du nom, fut un événement important pour l’Italie. H ne laissait qu’un neveu nommé César. Ce dernier rejeton de la maison d’Este était né avant le mariage de son père, et ce mariage était non-seulement fort disproportionné sous le rapport de la naissance, mais même contesté. Le pape en prit occasion pour déclarer César d’Este inhabile à succéder. Ce prince se mit en possession du bien de ses pères. Le pape, de qui le duché relevait, lui en refusa l’investiture. Les Vénitiens embrassèrent la cause du nouveau duc, et faisaient déjà avancer des troupes pour le soutenir. Le cardinal d'Ossat explique fort bien les motifsde I leur détermination. « Les Vénitiens, dit-il, sont I « ceulx, à mon advis, qui moings vouldroient que I >1 le duché de Ferrare retournasl au saint-siége, ■ « pour ce qu’ilz sont de plus sages mondains et des I u plus jaloux de leur estât, pour regarder de plus ■ u près à tout ce qui leur peut profiter ou nuire près I « etloing; qu’aussy pour ce qu’ils aimeroient micui I « pour voisin un simple duc de Ferrare, qu’un pape I « duc de Ferrare, et seigneur de tant d’autres os-1 « tats. Il y a encore un autre intérest qui les pousse, I « c’est qu’ils ont usurpé autrefois sur les ducs de I « Ferrare, et tiennent encore le comté de Rovigo.a I La guerre allait se rallumcrcn Italie. ClémentVllI I déclarait qu’il était prêt à y sacrifier jusqu’au_der- I njer calice des églises, et aller mourir sur les fossés I de Ferrare, le saint-sacrement à la main ; mais Cé- I sar, aussi prompt à abandonner ses prétentions qu'à I les déclarer, céda Ferrare au saint-siége, pour ne ■ conserver que le titre de duc de Modène et de Rcg I gio. Ainsi les États de l’Église, après s’être accrus 3 de la Romagne et de Bologne, s’étendaient jusque I sur le Pô, et touchaient aux frontières de la répu- I blique. Ce voisinage n’était pas sans inconvénieul. I On l’éprouva lorsque le gouvernement de Venise I entreprit de détourner un des bras du Pô, qui jetait I du sable dans les ports de Chiozza et de Malamocco. I Le pape voulut s’opposer à ces ouvrages, préten- I dant qu’ils pouvaient porter quelques préjudices | aux habitants de Ferrare : ceux-ci essayèrent même de renverser les travaux, mais ils furent vivement repoussés par les troupes vénitiennes, et le canal fut achevé. V. Les Vénitiens étaient fort soigneux de maintenir la paix rétablie entre eux et les Turcs. Ayant eu quelques démêlés avec les chevaliers de Malle, pour des prises que ceux-ci avaient faites dans le golfe, les galères de Venise coururent sur celles de la religion, en prirent deux ou trois, délivrèrent les esclaves lurcs, et les renvoyèrent à Constantino-ple. La conservation de la bienveillance du sultan coûtait même quelquefois à l’amour-propre de la république. Un de ses patriciens ayant combattu et pris une galère d’Alger, le grand-seigneur exigea non-seulement la restitution du bâtiment, non-seulement une forte indemnité et la délivrance d’un grand nombre d’esclaves, mais encore le supplice du capitaine vénitien, et on n’osa pas le lui refuser. Les Turcs* qui réclamaient si vivement le droit des gens, ne manquaient pas de le violer à leur tour, quand ils en trouvaient l’occasion. Deux de leurs corsaires abordèrent la nuit, à l'improviste, une galère vénitienne, qui était à l’ancre sur la côte de Spalato, s’en emparèrent, tuèrent le capitaine Marin Gradenigo, emmenèrent tout l’équipage en capli-