LIVRE XXIX. 63 séquence de la nécessité où l’on se voyait de mettre des bornes à l’accroissement du clergé : il y avait d’ailleurs beaucoup de raisons de ne pas le laisser sc multiplier, dùt-il même lie pas s’enrichir, car riche il ruinerait l’État, pauvre il serait à charge et dangereux : on n’avait pas toujours eu à se louer de son patriotisme; on ne pouvait point attendre ce sentiment d’une multitude de prêtres étrangers qui venaient remplir les monastères de la république; il importait de ne pas les encourager, en leur permettant de s’accroître, à devenir plus licencieux, plus insolents, plus actifs à abuser de leur ministère, pour sc mêler d’intrigues, pour chasser aux testaments; enfin, il fallait bien les empêcher d’employer le fer et le poison, pour réussir dans leurs diaboliques entreprises. Ce sont les termes du manifeste. Prétendre que le gouvernement n’avait pas le droit d’arrèler de tels désordres, et de punir ces crimes, quand les ecclésiastiques, s’en rendaient coupables, c’était lui interdire de protéger scs sujets. Un pays où il suffirait d’être revêtu du caractère ecclésiastique pour être hors de l’atteinte du fisc et des lois répressives, finirait par être peuplé d’ecclé-siasliques, c’esl-à-dire par n’être ni cultivé ni défendu. A ces raisons, assurément très-bonnes, les partisans du gouvernement en ajoutaient qui n’étaient que subtiles; les lois dont on sc plaint, disait-on, ne prescrivent rien, ne défendent rien au clergé ; elles ne s’adressent qu’aux citoyens laïques; elles leur interdisent de disposer de leurs biens en faveur des ecclésiastiques : c’est comme quand un prince défend à ses sujets d’exporter telle ou telle chose chez un autre, celui-ci n’est pas fondé à dire qu’on lui défend de recevoir, seulement on empêche de lui porter. X. Ce manifeste et la protestation qui l’avait précédé ne paraissaient pas suffisants pour s’assurer de la docilité de tous les membres du elergé ; le conseil des Dix manda les supérieurs de toutes les communautés religieuses de Venise, et leur signifia que l’intention du gouvernement était que, malgré l’interdit, le service divin n’éprouvât aucune inlerrup- (1) « Les Vénitiens étoient persuadés que les jésuites avoient irrité le pape contre la république, et lui avoient fait entendre que soutenues avec fermeté ses censures au-l'oient un plein succès. Dès les commencements de cette affaire, ils avoient envoyé leur confrère Antoiue Possevin, auprès du général Claude Aquaviva, pour en recevoir des ordres et une direction. Ces ordres avoient été d’obéir au pape. « (De thou, Hist. univers, liv. 137.) (2) De Fresne Canaye, ambassadeur de France à Venise, (l't dans une dépécbe au roi, du 18 mai 16UG : » Il a été besoin de leur donner escorte A leur parlement, pour empêcher qu'ils ne fussent offensés par le peuple, qui les ap- lion, et que personne ne sortit des terres de la république, sans en avoir reçu l’ordre ou la permission. Les jésuites, les capucins, tous les religieux, protestèrent de leur obéissance; il n’y eut, dans toute la république, qu’un grand-vicaire de Padoue qui osa dire au podestat, qui venait de lui notifier ces ordres, qu’il ferait ce que le Saint-Esprit lui inspirerait; à quoi le magistrat répondit qu’il le prévenait que k: Saint-Esprit avait déjà inspiré au conseil des Dix, de faire pendre les réfractaires. Le clergé séculier tint sa promesse, mais il n’en fut pas de même de tous les moines. Ils reçurent des lettres de leurs supérieurs de Rome, qui leur ordonnaient de garder l’interdit. Les jésuites, qui auraient bien voulu servir le pape, sans sc brouiller tout-à-fait avec la république (1), imaginèrent une distinction. Ils représentèrent qu’ils avaient promis de continuer de célébrer le service divin, cl qu’ils tiendraient leur engagement; mais que la messe, attendu son excellence, n’était pas comprise dans cetle expression générique, que leur conscience et l’obéissance qu’ils devaient au pape ne leur permettaient pas de la célébrer en public. La réponse à cette distinction fut un ordre de partir de Venise le jour même, et de sortir de tous les États de la république; on défendit toute communication quelconque avec eux, sous peine des galères. Un vicaire du patriarche alla prendre possession de leur église sur-le-champ, et les conduisit jusqu’au port. Les bons pères, au moment de s’embarquer, sc mirent à genoux, pour lui demander sa bénédiction, et le peuple, qui les avait suivis, et qui appréciait à sa juste valeur l’humilité de cette conduite, les accompagna de ses huées (2). Avant leur départ, ils avaient dit aux capucins que les religieux de Saint François étant la règle vivante, ils devaient un grand exemple à la chrétienté, que le monde entier avait les yeux ouverts sur le parti que l’ordre allait prendre : l’humilité de ces pauvres moines n’avait pu tenir contre cette flatterie; aussi le gardien eut-il la naïveté d’articuler cette raison, lorsqu’il alla déclarer aux magistrats que ses confrères étaient résignés à tout souffrir, peloit espions d’Espagne, et se réjouissoit de les voir chassés. » On rapporte qu’ils quittèrent la ville portant chacun une hostie consacrée suspendue au cou.« Ils vouloient sans doute par ce saint appareil en imposer au peuple, qui les appeloit traîtres et les pnurchassoit dans les rues. » (Histoire abrégée des Jésuites, cbap. 16.) Fra Paolo dit que ces pères avaient caché dans la ville les vases sacrés et les ornements précieux de l’église, aussi bien que les meilleurs meubles de leur maison ; en sorte qu’on ne trouva pour ainsi dire que les quatre murailles. Le lendemain on vit encore les restes du feu où on avait brûlé une multitude incroyable de papiers.