588 HISTOIRE DE VENISE. Aiguières, en plaçant l’entreprise du duc d'Ossone sur Naples sous l’année 1G19, a eu bien réellement l’intention de lui assigner cette date précise. Les historiens ne peuvent pas raconter tous les événements à la fois; l'accomplissement d’un fait exige toujours un certain laps de temps, et comme ils 11e s'enchaînent pas tous les uns aux autres, quand on passe à un événement qui n’est pas la conséquence immédiate de l’événement précédent, on est obligé de revenir sur ses pas, pour rapporter les circonstances antérieures : c’est ce qui est arrivé à l'auteur de la vie du connétable. Son objet spécial est le récit des faits qui appartiennent à l’histoire de sou héros. Après avoir raconté tous ceux qui se classent dans l’année 1018, il fait, en commençant l’année 1619, une digression sur le duc d’Ossone, et il est bien évident que son intention n’est pas de s’astreindre à ne raconter que des événements ap. partenant à cette année 1G19 ; car il y parle du maréchal d’Ancre, tué en 1617, et de la mort du duc d’Ossone, qui eut lieu en 1621. On ne peut donc pas Conclure de ce qu'il a choisi l’année 1619 pour y placer ce qui concerne le duc d’Ossone, qu’il ait voulu rigoureusement énoncer que tous les faits qu’il raconte appartiennent à cette année. Cette conspiration, dont l’objet était de se rendre maître d’un royaume, n’était pas d’ailleurs un fait qui se pût accomplir en quelques moments. Des traités à négocier avec Venise, avec le duc de Savoie, avec la Hollande, plusieurs allées et venues des agents de cette intrigue de Naples à Paris, les dispositions à faire pour distribuer, gagner et augmenter les troupes, tout cela exigeait du temps. Enfin, quand il serait vrai qu’il fallût admettre que l'intention formelle de l’auteur a été de placer le commencement et la fin de cette entreprise sous la date de 1619, il resterait à vérifier s’il ne s’est pas trompé, et si, d’après son texte même, on ne peut pas le convaincre d’erreur. Or, il dit que le duc d'Ossone faisait la guerre aux Vénitiens après la paix signée, et cette paix avait été conclue en 1617 : il dit que lorsque le vice-roi commença à négocier avec la cour de France, le duc de I.uynes venait de succéder à la faveur de Concini, et cela eut lieu en 1617 : il dit que le prince de Piémont, chargé de protéger les intérêts du vice-roi auprès des ministres, était alors à Paris pour son mariage, et ce mariage se négociait en 1618, puisqu’il lut accompli le 10 février 1619 : il dit que l’empereur était occupé par les troubles de la Bohême, ils avaient éclaté en 1618; ainsi l’historien donne, comme contemporains de l'cvéncment principal, d’autres événements qui avaient eu lieu en 1618 et en 1617. Ces dates coïncident parfaite- ment avec l’époque certaine de ce qui se passait à Venise au mois de mai 1618. Il y avait entre le duc de Savoie, Lesdiguières et le cabinet de Paris, un intermédiaire que le biographe nous nomme : c’était Deageant. Ce Deageant a laissé des mémoires, et dans ces mémoires il n’est question ni du duc d’Ossone, ni de son projet; il est même vrai de dire qu’on y lit que, quant à l’Espagne, il n’y eut rien d’important à démêler entre les deux couronnes que l’accommodement du duc de Savoie. Voici une nouvelle objection qu’il s’agitd'apprécier. Les mémoires de Deageant ne sont une histoire complète ni du temps, ni de la vie de l’auteur; il écrivait, dit-il, à la demande du cardinal de Richelieu, dans l'objet de l’instruire de certaines particularités de la cour, et surtout, quoiqu’il ne le dise pas, pour se faire valoir, en détaillant les services qu’il avait rendus. Mais de quel intérêt pouvait être pour le premier ministre le récit d’une affaire lointaine, dans laquelle la cour de France avait craint de s’engager, et qui avait eu à peine un commencement d’exécution, sans autre résultat que la perte de son auteur? d’ailleurs ce livre était publié sous la surveillance de l'autorité, et la politique ne conseille jamais aux gouvernements d’avouer une entreprise manquée. Il n’est donc pas étonnant que les mémoires de Deageant n’en fassent pas mention, et il n’y a rien à conclure de son silence contre l’existence du fait. On trouve, dans ces mêmes mémoires, que la disgrâce de l’auteur eut lieu au commencement de l'année 1619, ou même vers la fin de 1618; en voici la preuve : Deageant raconte que le jour de Pâques 1618, un confesseur vint lui révéler un attentat médité par un de ses pénitents contre la vie du roi, que l'homme suspect fut mis à la Bastille, mais que bientôt après on fit l'étourderic de le mettre en liberté, parce que lui, Deageant, était sorti des affaires. Cette anecdote prouve évidemment que c’était en 1618 et antérieurement au jour de Pâques qu’on négociait à Paris pour le vice-roi, et parconséquent, que le projet de celui-ci coïncide avec les événements qui se passèrent à Venise. Avant de terminer cette dissertation, je dois rapporter une autre explication qui a été donnée de cet événement. M. Chambrier d’Oleires, de l’académie de Berlin, lut devant cette société savante, en 1801, un mémoire dans lequel il se propose de résoudre le problème qui nous occupe (1). L’auteur était diplomate et avait été employé en cette qualité en Italie. Selon lui, les supplices qui (1 Mémoires de T Académie de Berlin.