100 HISTOIRE DE VENISE. cc goulphe iraient s'assoupissant : et, quelques jours après, il partait pour aller faire un pèlerinage de trois semaines à Lorctte. Aurait-il fait cette demande, l’aurait-il motivée ainsi, se serait-il absente de sa résidence, s’il eut eu connaissance d’une conspiration qui allait menacer l’existence de Venise? Il nous reste à examiner quels pouvaient être les desseins de l’ambassadeur d’Espagne. A cet égard nous ne saurions rien affirmer, n’ayant pas la correspondance de cc ministre. On voit bien que Jacques Pierre et Spinosa eurent une conférence mystérieuse avec le marquis de Bedemar ; niais c’cst par la révélation de Jacques Pierre que nous en connaissons les détails. Jacques Pierre était envoyé par le duc d’Ossone à Venise; il y venait avec la mission de débaucher les troupes hollandaises, pour exécuter un coup demain contre cette république; les indiscrétions du duc d’Ossone, et la haine qu’il affectait de manifester contre les Vénitiens, rendaient ce projet croyable, coloraient l’envoi de ces émissaires, elles trompaient eux-mêmes. Selon le rapport de Jacques Pierre, le marquis de Bedemar y applaudissait, et le pressait de retourner à Naplcs, pour en concerler l’exéculion. Tout cela peut être, soit que l’ambassadeur jugeât à propos de laisser tenter cette hasardeuse entreprise, soit que, dissimulant les objections dont elle était susceptible, il ne voulût qu’entretenir le zèle d’un aventurier qui paraissait fort animé contre les Vénitiens. Peu importait au duc d’Ossone que Bedemar approuvât ou non ce coup de main, puisqu’on n’avait nullement l’intention de le tenter. L’essentiel était que l’ambassadeur crût à l’existence de cc projet, afln qu’il ne pénétrât pas la véritable destination des troupes, et la connivence de la république. Pour l’induire cri erreur, on lui avait adressé un homme qui la partageait; cet homme, soit par crainte, soit par tout autre motif, révélait aux Vénitiens le terrible secret dans lequel il se croyait initié ; mais les Vénitiens en savaient plus que lui, et ces révélations, qui auraient ruiné les projets du duc d’Ossone, s’ils eussent été tels qu’on les supposait, en rendaient l’exécution d’autant plus sûre. Peut-être fut-ce pour augmenter la confiance de Jacques Pierre, et lui prouver qu’on ne négligeait pas ses avertissements, que l’inquisition d'État fit enlever et périr cet Alexandre Spinosa que le capitaine avait dénoncé. XX. De son côté, Jacques Pierre devait être jaloux de prouver au gouvernement que le complot dont il avait annoncé l'existence se tramait réellement. Il n’alla point à Naples, quoique le marquis de Bedemar l’en eût pressé. Il resta dix mois consécutifs à Venise, écrivant de temps en temps au duc d’Ossonc, sans en recevoir l’ordre et les moyens de mettre à exécution l’entreprise pour laquelle il se croyait envoyé. Le 7 avril il lui écrivait de nouveau: nous avons celle lettre, mais rien n’en constate l’au-thenlicilé. Jacques Pierre y envoie au vice-roi un mémoire sur la manière de franchir les passes, de s’emparer des forts et d’opérer un débarquement. Il expose les moyens de se rendre maître de Venise, et ces moyens sont ceux dont lui-même avait averti le gouvernement vénitien. « J’ai, disait-il, adressé à votre excellence le Bourguignon Laurent Nolot; il a été retenu à Naples pendant deux mois et demi. Je lui avais fait connaître l’état des forces que j’étais parvenu à rassembler. Les troupes du comle de I.ie-venslein, au nombre de 3,b00 hommes, se trouvaient, depuis plus de six semaines, à ma disposition ; plusieurs des chefs étaient à moi. Je m’étais en outre assuré d’à peu près dix mille hommes, dans les provinces ; mais il devenait de jour en jour plus difficile de les amuser par des paroles, pour leur faire attendre le retour de Nolot; parce que celles de ces troupes qui étaient dans le lazaret, souffraient et se mutinaient. Votre silence a dû me faire croire que vous n’approuviez pas mon projet. Ne pouvant les entretenir dans l’espérance, je me suis vu obligé, pour les empêcher de se débander, de consentir à cc qu'elles fissent leur accommodement avec la seigneurie, et cela dix jours avant l’arrivée de Nolot, qui nous a enfin rapporté votre réponse. Si elle fut arrivée à temps, le projet aurait déjà reçu son exécution, et Venise serait en notre pouvoir. Pour que votre excellence soit convaincue de la facilité de cc que je proposais, je lui envoie mon plan. On verra si l’cnlreprise était illusoire. Si Dieu me donne vie et m’accorde la grâce de n’être pas découvert, je me fais fort de rassembler encore mon monde et de venir à bout de mon dessein. Je ne demande, pour moi et mes compagnons, d’autre récompense que le butin. Ce que j’ai offert, je l’offre encore, à moins que nous ne venions à recevoir l’ordre de nous embarquer ; c’est pourquoi je renvoie Nolot à votre excellence. Il lui exposera l’état des choses, c’est à elle de voir ce qu’elle jugera à propos de résoudre. » Cette lettre, vraie ou supposée, ne prouve ni la culpabilité de Jacques Pierre, ni l’existence de la conjuration. Jacques Pierre avait tout révélé aux inquisiteurs d’État, ainsi il ne voulait pas tenter l’exécution de l’entreprise. Il exagérait probablement ses forces et leschances du succès, mais en cela il ne se compromettait pas. Il se plaint de cc que le duc d’Ossone tarde à se décider; donc, le 7 avril, le plan de l’entreprise n’était pascncore définitivement concerté entre le vice-roi et son principal agenl. Remarquons que celte lettre n’est vraisemblable, qu’autant que Jacques Pierre peut confier sans risque de pareils détails à la correspondance, et que