LIVRE XXXVII. 2ü5 nouvelle république lombarde, qui en étaient les conditions ostensibles, faisaient craindre qoe l’Autriche ne se fût pas déterminée à de si grands sacrifices, sans l’assurance secrète d’une indemnité; et l’on ne pouvait pas douter que, pour atteindre un des principaux objets de leur politique, qui était de détacher l’empereur de l’alliance de l’Angleterre, les Français ne permissent à ce prince de s’agrandir ailleurs. On apprit en même temps que Vérone était punie, que les paysans étaient désarmés, que toute la population de la rive droite du Mincio était en pleine insurrection contre la capitale, que des colonnes françaises s’avancaient du Milanais, de Vérone, de la Romagne, vers les lagunes. Les prové-dilcurs de Vicence et de Padoue avaient bien reçu du sénat l'ordre de faire sonner le tocsin, pour rassembler la population de ces provinces, et arrêter dans leur marche les corps qui accouraient au secours des Français assiégés dans Vérone; mais il n’était plus temps; des proclamations annonçaient à ces villes qu’elles ne devaient plus obéir à leur ancien gouvernement; on y organisait des municipalités, et le lion de Saint-Marc y était abattu. La nouvelle de tous ces événements allait arriver au quartier-général de l’armée française. 11 est aisé de juger avec quelle anxiété le gouvernement devait attendre des rapports sur l’accueil que ses députés y avaient reçu. XLV. Ces députés n’y étaient pas encore, lorsque la nouvelle du massacre de Vérone les atteignit. Ils entendaient dire partout sur leur route que Venise venait de déclarer la guerre à la France; que la paix avec l’empereur était signée; et, parmi les différentes versions relatives aux conditions du traité, il y en avait de douloureuses pour la république. Plus loin, depuis Pontieba jusqu’à Clagenfurt, il n’était bruit que du partage des États vénitiens; à Léoben, ils avaient eu à entendre les cris de fureur des soldats, quj juraient de venger leurs frères d’armes assassinés. Enfin ils arrivèrent à Gratz, où ils eurent une conférence avec le général en chef. « Après lui avoir fait parvenir, par le général Berthier, disent-ils dans leur rapport, une lettre de son frère, nous nous présentâmes devant cet homme vraiment extraordinaire, surtout par la vivacité de son imagination, l’énergie de scs sentiments et la promptitude qu’on remarque en lui au premier coup d’œil. 11 nous accueillit d’abord avec assez de politesse, et nous laissa dire tout cc que nous crûmes propre à le convaincre de l’amitié de notre république pour la France. Nous établîmes que les deux États ne pouvaient pas vouloir se faire la guerre. Après le développement de ces propositions, nous ajoutâmes que relativement aux événements qui étaient mal- heureusement survenus, nous n'apportions que des justifications et non des plaintes; que nous étions prêts à répondre à tout et à détruire tous les soupçons ; que, pour l’avenir, on était à la recherche des auteurs des assassinats, qui seraient punis exemplairement; que la république effectuerait, ainsi qu’il en avait témoigné le désir, le désarmement de ses sujets, pourvu qu’il voulût bien faire rentrer dans l’ordre les deux villes insurgées. « Nous nous aperçûmes sur-le-champ qu’il avait pris son parti, et qu’il voulait éviter cette discussion. Après nous avoir écoutés tranquillement, il se prit à nous dire : « Eh bien ! les prisonniers sont-ils en liberté? » Nous n’avions aucune instruction sur ce point; nous lui répondîmes qu’on avait rendu les Français, les Polonais et quelques Brescians. « Non, non, répliqua-t-il, je les veux tous; tous « ceux qui ont été incarcérés pour leurs opinions, « de quelque lieu qu’ils soient, même les Vêronais. <( Ils sont tous amis de la France. Si on ne me les h rend, j’irai moi-même briser vos plombs. Je ne « veux plus d’inquisition ; c’est une institution des « siècles de barbarie. Les opinions doivent être li~ « bres. « Oui, repartimes-nous ; mais le petit nombre n’a pas le droit de faire violence à toute une population fidèle. « Je vous répète,- ajouta-t-il, que « j’entends qu’on délivre tous ceux qui ont été ar-« rêtés pour leurs opinions; j’en ai l’état. » Mais, lui objectâmes-nous, cet état ne dit probablement pas s’ils sont détenus pour leurs opinions ou pour d’autres délits. Les Brescians, par exemple, ont été faits prisonniers les armes à la main par les habitants de Salo, qu’ils étaient venus attaquer. ii lit les miens! répliqua-t-il, et les miens, qui « ont été massacrés! L’armée crie vengeance. Je ne « puis la lui refuser, si vous ne punissez les mal-« faiteurs. » Ils seront punis, dîmes-nous, quand on nous les indiquera, quand on fournira les preuves. Il interrompit : « Votre gouvernement a tant « d’espions; qu’il punisse les coupables. S’il n’a pas « les moyens de contenir le peuple, il est inepte et h ne mérite pas de subsister. Le peuple hait les h Français; pourquoi? Parce que la noblesse lesdé-« teste, et c’est aussi pour cela qu’ils sont poursuivis h par le gouvernement. A Udine, où il y a un gou-u verneur excellent, 011 n’a pas vu des désordres « comme ailleurs. » « Nous lui représentâmes qu’il n’y a point de police qui puisse contenir des millions de sujets, encore moins maîtriser les opinions, qu’il prétend devoirêlre libres, elqui, chez les paysans, prennent leur source dans la dévastation des campagnes et des habitations; que si le peuple hait les Français, ce sont les désastres de la guerre qu’il faut en accuser.