40 HISTOIRE DE VENISE. on arrivant ils les trouvèrent rangés en bataille. Les six galéasscs qui marchaient en avant de la ligne commencèrent le feu ; leur artillerie, très-supérieure à celle des galères, faisait beaucoup de ravages parmi les Turcs : ils sentirent que, pour attaquer ces gros bâtiments, il faudrait se réunir plusieurs contre un, par conséquent rompre leur ligne, et que, pendant ce premier combat, les galères des confédérés arriveraient sur eux; ils se décidèrent donc à passer entre les galéasses, pour aller droit aux galères ennemies. Ce mouvement ne put s’opérer sans quelque désordre; leur aile droite, qui longeait la côte, fut la première à atteindre les alliés, elle les dépassa même, pour tourner leur aile gauche. Pendant cette évolution, le capitan-pacha arrivait sur le centre, et venait droit à la galère de don Juan. Celle de l’amiral Vénier et la capitane du pape accoururent au secours du généralissime. Le combat devint général, et sur toute la ligne cinq cents vaisseaux s’entre-choquèrent. La capitane du pacha, entourée d’ennemis, leur résistait depuis deux heures; plus d’une fois 011 en avait tenté l’abordage, plus d’une fois les alliés avaient occupé la moitié du pont, toujours ils en avaient été repoussés. Sept galères turques vinrent au secours de leur amiral, les alliés furent pressés à leur tour;mais l’arrière-garde, que commandait le marquis de Sainte-Croix, s’avança ; deux capitaines vénitiens, Lorédan et Malipier, se jetèrent au milieu des ennemis, coulèrent bas une de leurs galères, attirèrent sur eux l’effort de plusieurs, et moururent tous les deux avec la gloire d’avoir sauvé leur général, rétabli le combat, et facilité la prise de la capitane turque. L’amiral ottoman venait d’élre tué, les soldats espagnols sautèrent encore une fois à l’abordage, s’emparèrent de la galère, arrachèrent le pavillon turc, et élevèrent à sa place l’étendard de la croix qu’ils surmontèrent de la tète du capitan-pacha : plusieurs autres vaisseaux ennemis, qui combattaient au centre, eurent le même sort ; leurs commandants se jetèrent dans des chaloupes pour sauver leur liberté. Trente galères ottomanes firent un mouvement pour se retirer du combat, le provéditcur Querini courut sur elles; elles prirent la chasse, il les poursuivit et les obligea de se jeter à la côte; les matelots se précipitaient dans la mer pour échapper au vainqueur. Des cris de joie s'élevèrent au centre de la ligne, l’aile gauche y répondit par un cri de victoire. Le provéditeurlîarbarigo, qui s’était laissé tourner par l’ennemi, avait été enveloppé ; sa galère en avait eu à combattre six à la fois; il venait de recevoir lui-même une blessure mortelle; mais Frédéric Nani, qui avait pris sur-le-champ le commandement à sa place, redoublant d’efforts, et non conlcnt de sau- ver son bâtiment, s’était emparé d'une galère ennemie. Une division , conduite par le provéditeur Canale, vint le seconder; les Turcs commencèrent à plicç; la galère du général de leur aile droite, foudroyée par celles de Canale et du capitaine Jean Contarini, faisait eau de toutes parts. Mahomet Siloco, couvert de blessures, la vit s’enfoncer; les Vénitiens le tirèrent du milieu des eaux, mais ce fut pour lui trancher la tête, qu’ils arborèrent sur leur pavillon. Querini, qui revenait de poursuivre les trente galères ottomanes qui s’étaient jetées à la côte, arriva pour terminerce combat de l’aile gauche des alliés : les Turcs pressés de deux côtés ne songèrent plus qu’à la fuite. Sans ordre, sans chefs, dispersés, poursuivis, les uns s’échappaient avec leurs galères, d’autres les abandonnaient et se précipitaient dans des chaloupes, pour gagner le rivage voisin. A la droite des alliés, la fortune leur avait été moins favorable; le roi d’Alger, à force de manœuvrer pour tourner la division deDoria, l’avait obligé de s’éloigner du corps de bataille: la marche inégale des bâtiments les avait séparés les uns des autres : il y avait dans la ligne des chrétiens de grands intervalles. Le roi d’Alger, voyant quinze galères groupées, maisà une assez grande distance, se porta sur elles avec toutes ses forces; c’étaient des Espagnols, des Vénitiens et des Maltais : enveloppés par un ennemi si supérieur, ils firent d’abord une vigoureuse résistance. La capitane de Malte tomba au pouvoir de l’ennemi, et fut reprise par la bravoure de deux de ses conserves. Une galère de Venise, que montait Benoit Soranzo, prit feu et périt avec tout son équipage. Doria faisait des efforts pour arrêter l’aile gauche ottomane; mais il avait affaire aux galères d’Alger, dont les manœuvres étaient d’une précision, d’une célérité, qui ne permettaient point de prendre avantage sur elles. Ullus-Ali restait toujours maître d’attaquer ou d’éviter le combat : quand il vit le centre de l’armée turque en désordre, et trente galères à la côte, il sentit qu’il ne restait plus aucun espoir de rétablir la bataille : il déploya toutes ses voiles et passa au milieu de la ligne des alliés avec trente de ses vaisseaux ; le reste qui n’avait pu le suivre fut at-teinl par le vainqueur. Il y avait cinq heures que l’on combattait; la mer était couverte de sang et de débris : quelques galères fuyaient au loin, d’autres, à demi brûlées et fracassées, attendaient que les alliés vinssent s’en emparer; plusieurs flottaient au gré des vents, abandonnées de leurs équipages;on en voyait trente ou quarante échouées le long de la côte; enfin celles qui n’avaient pris que peu de part au combat, s’étaient réfugiées dans le golfe de Lépante. Les alliés avaient