LIVRE XXXIII. 148 de Candie reçût un secours de quelque importance. Le duc de Savoie voulut même en retirer ses deux régiments. Le pape, qui venait au contraire d’y envoyer cinq cents hommes de ses troupes, lui fit sentir tout ce que cet abandon avait d’odieux. Le duc insista au inoinspourlerappel de son général, et le marquis de Ville quitta, au mois de mai 1668, celte colonie, dont il avait glorieusement prolongé la défense aux dépens de son sang. Le gouvernement vénitien remplaça ce général par un Français, le marquis de Saint-André Mont-brun. Ce choix était l’ouvrage de la politique; on voulait intéresser Louis XIV à la défense de Candie. Ce prince accorda en effet quelques secours d’argent aux Vénitiens, et leur permit de lever des Iroupes dans ses États. XXII. Une brillante élite de volontaires se fit inscrire pour cette expédition. L’empereur fournit à la république un renfort de trois mille hommes. Le pape, par ses exhortations, soutint et encouragea le zèle de tous les princes d’Italie, et lorsque les chevaliers de Malte apprirent qu’une troupe d’officiers français se préparait à aller combattre les infidèles, ils ne voulurent point qu’on pût les accuser d’être demeurés spectateurs indifférents de la belle défense de Candie : soixante des leurs allèrent établir, avec cette jeune noblesse, une glorieuse rivalité de courage et de dévouement. La cour de France, qui ne voulait pas rompre son alliance avec la Porte, et qui même profilait des disgrâces des Vénitiens, pour les supplanter dans le commerce du Levant, avait pris ce terme moyen pour fournir un secours à la république, sans sortir des limites de la neutralité. Le duc de la Feuiilade se mit à la tête d’un corps de cinq cents officiers, engagés à raison de vingt sols par jour, et dont il payait la majeure partie, quoique sa fortune fût très-médiocre. Le nom de quelques-uns des chefs de l’entreprise, ce qu’il y avait de romanesque dans cette expédition, les yeux de toute l’Europe attachés sur Candie, tout cela suffisait pour exalter l’imagination d’une jeunesse amoureuse de la gloire, et semblait lui offrir une occasion brillante de se signaler. Les ducs de Château-Thierry et de Caderousse, le comte (!e Villemor et le comte de Saint-Pol, prince de ^ieuchàtel, à peine âgé de dix-sept ans, étaient les lieutenants du duc de la Feuiilade. Une centaine de volontaires demandèrent à marcher avec ce corps d’officiers. On y comptait plusieurs Aubusson, des üeauvau, des Langeron, des Créquy, des Tavanes etdcs Fénélon. Cette troupe traversa la Méditerranée sous le pavillon de Malte. Le grand-maître lui envoya undra- 1IIST0IRE DE VENISE. — T. II. peau, sur lequel étaient les armes de l’ordre et celles d’Aubusson, armes qui en effet pouvaient s’allier, depuis qu’un grand-mailre de ce nom avait défendu Rhodes. Le successeur du marquis de Ville était arrivé à Candie, quatre ou cinq mois avant le corps du duc de la Feuiilade; il avait amené quelques troupes; mais la république était réduite aux expédients : 011 avait accordé la grâce aux bannis, aux malfaiteurs, pour les atlirer sous les drapeaux. Un régiment français levé par le duc de Lorraine, était entré dans la place. La renommée grossissait l’importance du nouveau renfort qu’on attendait. Les Turcs en avaient reçu aussi de considérables; et le grand-seigneur, qu’irritait la longueur du siège, s’avancait vers la Morée, pour se trouver plus à portée de presser l’embarquement des troupes et des munitions. Un des bastions de la place avait été ruiné par les batteries et par les mines; les Turcs finirent par s’y établir, et malgré les torrents de pluie qui vinrent inonder leurs lignes dès le commencement de l’automne, il fut impossible de les en déloger totalement ; à force de combattre, on se partagea ce monceau de ruines. Le grand-visir, qui sentait combien pouvait être dangereuse pour lui l’impatience de son maître, ne se donna plus de repos. A peine établi sur un bastion, il en attaqua trois autres à la fois. L’entrée du port était encore libre, il entreprit d’y élever un môle. Les brèches étaient réparées, il fit jouer toute son artillerie pour en faire de nouvelles. La ville était abondamment approvisionnée, il la couvrit d’un déluge de feux pour incendier les magasins. La garnison était renforcée, il la fatigua par des assauts. Pendant que les assiégés avaient à soutenir tant d’attaques, leur flotte effectuait une descente dans le voisinage de la Canée et détruisait les moissons, pour ôter cette ressource à l’armée ottomane. Les travaux entrepris par les Turcs étaient prodigieux. Ce môle, qu’ils voulaient élever à l’entrée du port, pour en battre la passe et pour foudroyer la ville, assez faible de ce côté, leur coûtait des fatigues et des pertes inouïes. Tant d’efforts et de dangers firent éclater la révolte dans leur camp; le grand-visir la comprima par sa fermeté, et le sultan fit dire à son armée, qu’il n’y aurait de repos pour elle que lorsqu’elle serait dans Candie. Dans un des assauts, elle perdit jusqu’à deux mille hommes. C’était une guerre de géants, comme disait le marquis de Montbrun, qui s’était trouvé à presque tous les sièges fameux de son temps. Il fut lui-même grièvement blessé sur la brèche. Les galères auxiliaires des princes d’Italie se retirèrent de fort bonne heure cette armée, au mépris de toutes les instances que les assiégés purent 10