PIÈCES JUSTIFICATIVES. 371 « On Ta observer les conjurés ; on en arrêta beaucoup; les écrits qu’on surprit et les aveux qu’on arracha aux coupables ne laissèrent aucun doute sur le crime. Quelques-uns subirent leur peine en secret, d’autres publiquement. Il yeneutqui se sauvèrent, ils trouvèrent un asile auprès du vice-roi. « Un ordre fut expédié au commandant de la flotte pour faire jeter à la mer Jacques Pierre et Eangladc (1). Bérard, qui avait promis de livrer Crème, périt par la main du bourreau. Venise apprit avec horreur et épouvante le danger qu'elle avait couru. Le sénat fit rendre publiquement des actions de grâce à la Providence. L’ambassadeur d’Espagne, qui était accusé hautement d’avoir dirigé cet attentat, et que la fureur du peuple menaçait, prit le parti de sortir secrètement de Venise et se retira à Milatr. Le sénat avait écrit à Madrid pour demander le rappel de ce ministre; et comme les entreprises de cette nature ne sont jamais avouées qu'après le succès, la cour désapprouva la conduite de l’ambassadeur (2), cl annonça qu’elle lui avait donné un successeur. « Le duc d’Ossone ne' manquait pas de protester qu’il n’avait eu aucune part à celle afTaire; mais l’asile qu’il avait donne aux coupables et scs libéralités envers la veuve de Jacques Pierre déposaient assez conlre lui. « Ces choses s’étant passées dans le temps où l’on était occupé d'exécuter les conditions de la paix, le sénat jugea convenable de dissimuler profondément, pour ne pas compromettre, à l’occasion du crime d’un petit nombre de scélérats, l’honneur de deux grandes nations, en accusant l’une de corruption et l'autre de perfidie (5). » Le traducteur de Nani (4) nous apprend que la publication de ce récit mécontenta beaucoup le cabinet de Madrid. Grosley compte parmi les historiens qui ont précédé l'abbé de Sainl-Réal, un chanoine de Padoue, nommé Jcan-Baptisle Véro. Cet Italien publia pour la première fois son his- (1) Nani commet ici une petite inexactitude; l.anglade fut tué à coups d’arquebuse à Zara. (2) Autre inexactitude bien plus importante que la précédente. La cour de Madrid se garda bien de désapprouver la conduite de l’ambassadeur ; ç’aurait été un aveu de la conjuration. Le gouvernement vénitien n’en parla même pas dans ses plaintes. Voyez, ci-après, sadépéclie sur cet objet. 13) La même année que fut publiée l’histoire de Baptiste Nani (en 1665), il parut une édition de la description de Venise, par Sausovino. Un archiprétre, nommé Juslinien Marlinioni, y avait fait des additions considérables. Les notices historiques que Sansovino avait données sur les doges, finissaient à l’année 15S0 : le continuateur les conduisit jusqu’à l’année 166*2. Il y rapporte la conjuration de 1JIS comme >ani, mais encore plus succinctement. toire de Venise en 1638, sous ce titre : Joannisliap-lista1 b'eri, rerum l'enetarum libri quatuor, ab anno 530 ail a n nu m 1613. On voit que sa narration s'arrêtant àI013, il ne pouvait y être question de la conjuration de 1618. Une seconde édition de cet ouvrage parut à Amsterdam, eu 1041; elle s’arrête i 1613, comme la précédente. En 1635, il en fut publié une troisième à Venise. Celle-ci était une traduction sous ce litre : Com-pemlio (telle historié rende, il et ilottnre Cio.-Hat. Fero, trailotto dal tatino in timjua italiana, c ay-ijiunti i succcssi dall' anno 1628, sitio al 1615, lib. quatro. Celte histoire se termine à la guerre du Frioul, commencée en 1013. La continuation, qui est de Jcan-Iiaplistc Iiirago, ne commence qu’à l'année 1029. Ainsi il y a une lacune de treize ans dans cet ouvrage. Pour trouver le récit de la conjuration de Venise dans celle histoire, il faut recourir à l'édition latine de 1081, qui est la quatrième ; elle a été imprimée à Padoue. Ainsi cette relation de la conjuration n’est point de Véro, niais de son continuateur, et elle n’a paru que dix ans après celle de Sainl-Réal. On voit que ceux qui l’ont considérée comme une des sources où Sainl-lléal avail pu puiser, n'y ont pas regardé d’assez près. Mais il est possible, dira-t-on, qu'il en existe quelque autre édition que celles que je viens d'indiquer; et dans tous les cas, quand même cette histoire serait postérieure à celle de l'écrivain français, elle n'eu est pas moins un témoignage qui la confirme. Laissons donc compter ce fragment de J.-B. Bi-rago parmi les narrations dont Saint-Itéal a pu s'autoriser, cl voyons en quoi elle consiste. En voici la traduction littérale : « La nouvelle de la paix irrita au dernier point don Pèdrc de Tolède et le duc d'Ossone. Tous deux nourrissaient une haine implacable contre la république, et conspi- II y a dci auteurs, entre antre» Gregorio Lcti, qui ont compté Sansotino parmi le« historiens qui aliènent la conjuration; cl ton témoignage, disent-ils, est d’un poids d'autant plu» grand qu'il était contemporain et témoin oculaire de l'événement. Voici qoi diminue le poids de cette autorité : Sansotino, mort en 1586, ne pouvait avoir eu connaissance des événements de 1618. I.c récit de la conjuration te trouve bien dans son livre, mais ce récit est du continuateur. J'ignore l'époque de la naissance de Maitinioni; seulement on voit qu'il écrivait en 1663. Quant i son récit, il parait fait d’après celui de Kani. Celui-ci était né en 1616, cl par conséquent ne peut être donné comme un témoin oculaire des événements de 1618. (4) L’abbé Tallemant.