LIVRE XXVIII. ou les personnes ecclésiastiques, et lorsque, dans le sénat, dans le grand-conseil, dans toutes les autres assembléesd’État, il se traitait une affaire où la cour de Home pouvait être intéressée, tous ceux qui avaient une affaire à Rome où des parents dans l’Église, étaient obligés de se récuser. On faisait sortir les papalistes. Les sujets qui avaient quelques dispenses ou autres grâces à solliciter du pape, ne pouvaient le faire que par l’intervention de l’ambassadeur de la république à la eourde Rome. Aucun acte du saint-siége n’était reçu, publié, exécuté dans les Étals de la seigneurie qu’après l’approbation du gouvernement. L’inquisition était à peu près réduite à la censure des livres. Si on considère que c’est dans un temps où presque toutes les nations tremblaient devant la puissance pontificale, que les Vénitiens surent tenir leur clergé dans la dépendance, et braver souvent les censures ecclésiastiques et les interdits, sans encourir jamais aucun reproche sur la pureté de leur foi, on sera forcé de reconnaître que celte république avait devancé de loin les autres peuples clans cette partie de la science du gouvernement. La fameuse maxime siamo venezianipoicliristiani, n’était qu’une formule énergique, qui ne prouvait point qu’ils voulussent placer l’intérêt de la religion après celui de l’État, mais qui annonçait leur invariable résolution de ne pas souffrir qu’un pouvoir étranger portât atteinte aux droits de la république. Dans toute la durée de son existence, au milieu des revers comme dans la prospérité, cet inébranlable gouvernement ne fit qu’une seule fois des concessions à la cour de Rome, et ce fut pour détacher le pape Jules II de la ligue de Cambrai. XII. Jamais il ne se relâcha du soin de tenir le clergé dans une nullité absolue relativement aux affaires politiques; on peut en juger par la conduite qu’il tint avec l’ordre religieux le plus redoutable et le plus accoutumé à s’immiscer dans les secrets de l’Etat et dans les intérêts temporels. Venise avait reçu les jésuites quelque temps après leur création. Dans le différent que je vais avoir à raconter entre la république et le pape Paul V, les religieux de cet ordre, ayant obéi au pape, furent chassés de tout le territoire vénitien; leurs biens furent confisqués, vendus; et lorsque le gouvernement con-seniii à leur retour, il les obligea d’acheter le couvent dans lequel il leur permit de s’établir. Le décret qui tolérait les jésuites à Venise devait être renouvelé tous les trois ans. C’était ainsi qu’on en usait pour les Juifs. Dans les processions, la place des jésuites était assignée entre les bannières de Saint-Marc et de Saint-Théodore, emblèmes, di- sait-on, des deux colonnes entre lesquelles se faisaient les exécutions des criminels. Quelque temps après leur retour, on fut averti qu’un père de cette société avait imaginé de former une congrégation des gondoliers de Venise. II les réunissait les jours de fête, et leur faisait des instructions sur les vérités de la religion qui pouvaient être à leur portée ; jusque-là cet établissement n’avait rien que d’édiliant; mais les gondoliers attachés à toutes les personnes riches ou considérables, étant, par leur profession, instruits de toutes leurs démarches, quelquefois de leurs secrets, on jugea qu’il pouvait y avoir du danger à laisser aux jésuites ce moyen d’espionnage; la congrégation fut défendue, dissoute, et le père qui l’avait formée reçut ordre de sortir de Venise. Un jésuile, s’élant avisé de prêcher contre le carnaval, et de dire qu’il serait bien mieux de réserver tout l’argent qu’on y dépensait pour aider le pape à soutenir la guerre dont il menaçait alors la république, fut banni sur-le-champ du territoire vénitien (1). Une autre fois la mère d’un jeune homme vint se plaindre de ce que son fils, qui était entré chez les jésuites, en annonçant l’intention de s’engager dans leur ordre , voulait en même temps leur donner ses biens : il avait déjà remis au père recteur du couvent de Padoue une procuration qui l’autorisait à les vendre. Le conseil des Dix envoya ordre au recteur d’apporter la procuration; il s’excusa sur ses infirmités, et quoiqu’elles fussent réelles, on l’obligea de comparaître, on lui fit rendre cet acte, et on l’envoya expier sa désobéissance sous les plombs, c’est-à-dire dans un cachot. Enfin, une loi plus récente défendit à tout jésuile de prolonger au delà de trois ans son séjour dans les États de la seigneurie. Ils ne pouvaient avoir dans leurs maisons que des religieux nés sujets de la république ; ils étaient obligés d’en donner l’étal. Aucun Vénitien ne pouvait faire profession dans leur ordre sans la permission du gouvernement. Les personnes même qui n’appartenaient plus à l’ordre, mais qui en avaient porté l’habit pendant six mois, avaient besoin d’une permission spéciale pour résider sur le territoire vénitien; défenses étaient faites aux notaires de recevoir aucun testament par lequel les jésuites seraient institués légataires; et quand la république fut tout-à-fait brouillée avec l’ordre, elle poussa les choses encore plus loin, car elle défendit à tous les chefs de famille de faire élever leurs enfants dans des collèges dirigés par les jésuites, sous peine de se voir eux et leurs fils dépouillés de leurs dignités. On n’a qu’à comparer cette police ferme et vigi- (1; De Thou, UHt. univers, liv. 137.