38 HISTOIRE DE VENISE. vaux, des dries, des chiens; levin manquait depuis longtemps ; on n’avait même plus de vinaigre pour corriger l’insalubrité de l’eau. Les maladies faisaient des ravages dans ce petit nombre de braves qui restaient, presque tous couverts de nobles cicatrices, et 011 n’avait plus les moyens de leur administrer les secours de l’art. Dans cette extrémité, les habitants députèrent au commandant et aux magistrats, pour leur représenter que, là où il n’y avait plus ni espoir de secours, ni moyens de prolonger son existence, il ne pouvait être honteux de conclure une capitulation qui préserverait leur ville d’une ruine totale. Il y eut des officiers qui proposèrent d’ouvrir les portes, de fondre sur le camp des Turcs et de se faire jour au travers des ennemis. Mais où aller? On était dans une île, et comment combattre, dans une plaine, ce même ennemi qu’on avait eu tant de peine à repousser malgré des fortifications? Ce parti désespéré ne présentait aucune issue. On arbora le drapeau blanc le 1er août. Des commissaires ottomans entrèrent dans la ville. Les otages que les Vénitiens envoyèrent en échange, furent reçus dans le camp de Mustapha avec toutes les apparences de la courtoisie. Les commissaires ne se montrèrent point difficullueux. La capitulation fut conclue aux conditions suivantes : que la garnison sortirait avec ses armes, son bagage, cinq pièces de canon et trois chevaux; qu’elle serait transportée à Candie sur des vaisseaux turcs ; que les habitants seraient libres de quitter Famagouste, avec la faculté d’emporter tout ce qui leur appartenait ; et que ceux qui resteraient, ne seraient molestés ni dans leurs biens, ni dans leur honneur, ni dans leurs personnes. Aussitôt que ces articles eurent été ratifiés, quarante vaisseaux turcs entrèrent dans le port, et on commença à embarquer les malades. Les soldats en état de porter les armes gardaient toujours les portes; mais les communications commençaient à s’établir entre le camp et la ville. Les Italiens admiraient les immenses travaux desTurcs; ceux-ci le petit nombre des assiégés, et, touchés de leur état de misère, ils leur apportaient des rafraîchissements. Enfin les portes furent remises le 4 août aux Ottomans. Mais à peine furent-ils entrés dans la place qu’ils y commirent des actes de violence. Bragadino en envoya porter des plaintes au pacha. Celui-ci fit donner l’ordre à ses gens de se conformer aux articles de la capitulation, et fit dire à Bragadino, qu’il désirait voir et entretenir un commandant qui avait fait une si belle défense (1er août lo71J. XIV. Le soir même Bragadino, croyant devoir répondre à cette invitation , se rendit avec Baglione, Louis Martinengo, Antoine Querini, plusieurs autres officiers et une escorte de quarante hommes au camp de Mustapha. Bragadino marchait à cheval à la tête du cortège, dans son costume de magistrat vénitien, c’est-à-dire vêtu de la robe rouge, et faisant porter sur sa tête un parasol de même couleur, qui était une des marques de sa dignilé. Ils furent reçus fort civilement ; le pacha s’entretint quelque temps avec eux des événements du siège; ensuite il leur demanda quelles sûretés ils lui donneraient, pour garantir le libre retour des vaisseaux qui allaient transporter la garnison à Candie. Bragadino lui répondit que l’on pouvait s’en fier à la loyauté du gouvernement vénitien; que la sûreté demandée n’avait point été stipulée dans la capitulation; qu’il ne voyait pas d’ailleurs quelle garantie il pourrait fournir. Là-dessus, le pacha répliqua qu’il voulait qu’on lui laissât le jeune Antoine Querini en otage. Bragadino s’étant récrié à cette demande, Mustapha ne dissimula plus, se répandit en imprécations contre le commandant, contre tous les Vénitiens, les accusa d’avoir fait égorger leurs prisonniers musulmans, et passant des injures à la fureur, il fit garrotter Baglione, Martinengo, Querini et Bragadino, et les fit traîner hors de sa lente, où les trois premiers furent massacrés à l’instant. Bragadino, témoin de leur mort, était réservé à de plus longs tourments. On lui coupa les oreilles, ensuite on le promena ignominieusement dans les rues de cette ville qu’il avait défendue avec tant de gloire ; enfin on le conduisit sur la place publique, où il fut attaché au poteau et écorché vif. Mustapha, du haut d’un balcon, se repaissait de ce spectacle ; mais sa fureur n’était pas encore assouvie. Par une dérision, plus lâche encore que sa barbarie, il fit empailler la peau du généreux défenseur de Famagouste, la fit promener dans la ville sur une vache , avec le parasol rouge sous lequel Bragadino était allé au camp ; enfin il la fit pendre à la vergue de sa galère, et après avoir mis Vénitiens et Cypriotes à la chiourme, s’embarqua le 24 septembre, pour aller recevoir à Constanlinople la récompense d’une conquête qui avait coûté cinquante mille hommes à l’empire ottoman. XV. Pendant que Mustapha montrait à tout l’Ar-chipel son infâme trophée, la flotte de la confédé-i ration arrivait le 27 septembre à Corfou. Elle y apprit que la flotte turque était dans le golfe de Larta, et partit pour aller l’y attaquer. Une division de huit galères éclairait la marche, sous le commandement de Jean Cardone, amiral de Sicile : venait ensuite l’avant-garde forte de cinquante-quatre galères, aux ordres de Jean André Doria : à un demi-mille en avant du corps de bataille, étaient les six ga-léasses des Vénitiens, que conduisait Duodo : le corps de bataille était composé de soixante et une galères, c’était là que Collait le pavillon donné par