108 HISTOIRE DE VENISE. grossir les forces de la coalition : deux galères de Toscane, quatre du pape, cinq de Malte, deux vaisseaux de l’ordre, sept du roi de Portugal, et autant d’Espagnols, étaient venus se joindre à l’armée de Ja république. Les deux amiraux cherchaient le combat avec une égale ardeur. Ils se rencontrèrent le 19 juillet, près de Cérigo; l’engagement dura huit heures. On dit que les Turcs furent plus maltraités que les Vénitiens; mais ce qu’il y a de certain, c’est que les uns et les autres rentrèrent dans leurs ports. On peut remarquer que, depuis que l’usage des vaisseaux de ligne avait été substitué à celui des galères, les (lottes vénitiennes ne remportaient plus aussi fréquemment des avantages décisifs. Revenu dans la mer Ionienne, Pisani se concerta avec Schullembourg, et ils résolurent d’attaquer la place de I’révésa. Six mille hommes furent débarqués, au mois d’octobre, sur cette côte, que le gouvernement turc n’avait pu munir de beaucoup de troupes, à cause des progrès que le prince Eugène faisait dans la Transylvanie. Le pacha qui commandait à l’révésa fit d’abord quelques efforts, pour empêcher les Vénitiens d’asseoir leur camp devant sa place; mais dès qu’il vit jouer leurs batteries, il offrit de se retirer, pourvu qu’on lui accordât les honneurs de la guerre. Schullembourg exigea, non-seulement qu’il se rendit à discrétion, mais qu’il envoyât au commandant de Wonizza, qui lui était subordonné, l’ordre de remettre cette place aux Vénitiens. Le pacha, pour toute réponse, sortit à la tête de sa garnison, se fit jour au travers des assiégeants, et gagna la forteresse de Larla. Au lieu de l’y poursuivre, Schullembourg se dirigea vers Wonizza, qu’il enleva après une faible résistance. Pendant que cette petite armée de la république conquérait Prévésa et Wonizza, les troupes vénitiennes reculaient les frontières de la Dalmatie, et assuraient leurs conquêtes par la prise du château d’Imoschi. Les circonstances où la république se trouvait alors étaient absolument les mêmes que celles où elle s’était vue trenleans auparavant, lorsque, profilant de l’occupation que les Autrichiens donnaient aux Turcs, elle s’était emparée si facilement de la Morée. Scs espérances de recouvrer celle province paraissaient mieux fondées que jamais. Les nouveaux succès du prince Eugène, qui venait d’emporter Belgrade, donnaient la certitude que les Turcs ne trouveraient point de forces disponibles pour défendre cette presqu’île. XVIII. Mais ce qu’on avait vu à la fin de la précédente guerre allait se renouveler. L’empereur était pressé de profiler des victoires de ses armées, pour conclure sa paix avec les Turcs, afin de s’op- poser aux Espagnols, qui venaient d'envahir la Sar-daigne à l’improviste, et qui opéraient un débarquement en Sicile. Les Vénitiens eurent beau le solliciter de continuer la guerre, en lui représentant que le plus important était de saisir une occasion favorable, pour abaisser la puissance ottomane, qu’il serait toujours temps de chasser les Espagnols de l’Italie. L’empereur ne voulut point céder à ces sollicitations, et le sénat comprit que la paix allait être conclue à ses dépens. En effet, un congrès fut assemblé à Passarowitz, sous la médiation de l’Angleterre et de la Hollande. Comme la république ne demandait pas mieux que de rompre la négociation, elle continua les hostilités sur terre et sur mer. Son armée mil le siège devant la ville de Dulcigno en Albanie, tandis que sa flotte allait chercher, dans l’Archipel, celle du capitan-pacha ; mais tout-à-coup la nouvelle de la paix signée vint apprendre aux Vénitiens que l’empereur gardait toutes ses conquêtes, et qu’il fallait qu’ils renonçassent à la Morée, en faveur de la Porte, qui leur abandonnait, en dédommagement, l’ile de Cérigo et quelques points fortifiés sur les côtes de la Dalmatie et de l’Albanie. A ces concessions, la Porte voulait bien en ajouter une autre assez favorable aux Vénitiens, c’était de réduire à trois pour cent les droits de douane, qui avaient été perçus jusque-là sur le pied de cinq pour cent. Ce n’était pas conclure la paix, c’était la recevoir telle qu’un puissant allié l’avait dictée. Pour rendre les Vénitiens moins difficiles sur lés conditions du traité, les plénipotentiaires turcs feignirent, dans le commencement du congrès, de n’être pas autorisés à négocier avec le plénipotentiaire de la république. C’était ce qui pouvait lui arriver de pis, de se trouver en guerre avec l'empire ottoman, après la défection de l’Autriche. Le sénat demandait la Suda, Spina-Longa, Tine et Cérigo, à titre d’anciennes possessions, et la restitution de la Morée. Quand on vit qu’il n’y avait pas moyen de se flatter de recouvrer cette presqu’île, on se réduisit à demander en indemnité Scutari, Dulcigno et Antivari, sur la côte d’Albanie, en conservant Prévésa, Wonizza et Bu-trinto. Toutes ces propositions furent rejetées, il fallut se contenter du rocher de Cérigo. Ensuite 011 traça la ligne de démarcation, en dedans de laquelle les bâtiments de commerce de la république devaient être garantis, par la protection de la Porte, de l’insulte des corsaires barbaresques. Cette ligne, partantde Sainte-Maure et de Zante, passait àtrente lieues au large de Sapienza, de Modone, et comprenait tout l’Archipel, l’île de Candie, Rhodes, Chypre, Béritc, Tripoli de Syrie, cl Alexandrie d’Egypte, où elle finissait. Quant aux possessions de la république sur la