LIVRE XXXVII. 245 d'échapper au fléau des réquisitions, qui se multipliaient, sans profit pour l’armée, il conviendrait que le sénat s’obligeât à fournir un subside d’un million par mois, soit en argent, soit en denrées, tant que la guerre durerait, sauf à faire de ce subside et des fournitures déjà effectuées l’objet d’une créance, que la république française ne manquerait pas de liquider à la paix. Les commissaires s’étant récriés sur cette nouvelle demande, il ajouta qu’ils n’avaient qu’à s’aider des trésors du duc de Modène, qui étaient en dépût à Venise, et de tous les fonds appartenant aux ennemis de la France, fonds que la France était en droit de réclamer; et saisissant le bras du procurateur Pesaro, il ajouta ces paroles : « II n’y a plus « de milieu désormais ; si vous prenez le parti des « armes, la république de Venise ou l’armée d’Italie « est perdue. Ainsi songez bien au parti que vous ii allez prendre ; n’exposez pas le lion valétudinaire « de Saint-Marc contre la fortune d’une armée qui « trouverait dans ses dépôts et parmi ses blessés de ii quoi traverser vos lagunes. » Il y avait peut-être un peu de jactance dans ce conseil ; mais il ne pouvait être mieux adressé qu’à celui qui avait été le provocateur de toutes les dispositions offensives. Le sénat délibéra, le 50 mars, sur le rapport de ses députés, et se résigna à promettre le secours mensuel d’un million. Il y avait deux cent un votants dans l’assemblée; sept opinèrent contre la proposition; cent seize l’adoptèrent; soixante-dix-huit s’abstinrent de voter. Quand, dans un corps délibérant, il y a un grand nombre de membres qui prennent le parti de se récuser, c’est un symptôme de dissolution. Pendant ce temps-Ià, les plaintes du gouvernement vénitien étaient arrivées à Paris. L’ambassadeur avait reçu du directoire une réponse à peu près semblable à celle que le général de l’armée d’Italie avait faite aux députés. On avait feint d’apprendre avec surprise les événements qui étaient les sujets de ces plaintes, et on avait ajouté que, pour prendre un parti, il était convenable d’attendre les rapports du général. On voit que la politique du directoire tournait dans une cercle vicieux. Mais l’ambassadeur vénitien terminait sa dépêche en disant que ce gouvernement n’avait point de plan arrêté ; qu’il se réglait d’après les circonstances ; que son but principal était de détacher l’empereur de l'Angleterre; qu’on ne ferait point la paix, à moins que la cession de la Belgique n’en fût la base; que les révolutions étaient devenues nécessaires en Italie, pour se procurer des objets de compensation à offrir à l’empereur, et que c’était probablement la destination réservée aux provinces vénitiennes. XXXI. Ces négociations sans résultat donnaient à l’esprit d’insurrection le temps de se propager. S’il fallait en croire ceux qui veulent que le peuple n’ait pris aucune part à ces mouvements, la ville de Salo sur le lac de Garde aurait été subjuguée par treize hommes, et cela, bien qu’elle eût un provéditeur et une garnison. Ces treize hommes, dit-on, arrivèrent bride abattue, en criant : Vive la liberté ! Ils se renforcèrent d'une cinquantaine de sbires et de spadassins, s’emparèrent des caisses publiques, arrêtèrent le provéditeur, désarmèrent la troupe esclavonne, et établirent une nouvelle municipalité. Que penser d’une pareille révolution? Que penser du provéditeur et de sa troupe, s’il est vrai que la population n’eùt pas favorisé l’entreprise de celte poignée d’étrangers? Et quelle était la part des Français dans celte révolution? Un témoin croyait en avoir reconnu cinq parmi les hommes qui se réunirent aux treize cavaliers (2i mars 1797). XXX11I. On était tellement trbublé de ces nouvelles, que la terreur devançait les événements, et que les magistrats annonçaient, dès le 13 mars, l’insurrection de la ville de Crème, qui n’éclata que le 28. On avait, quelques jours auparavant, demandé aux habitants un nouveau serment de fidélité; cérémonie qui, comme on sait, ne coûte rien à des mécontents, et précède ordinairement les explosions. Le 27, on annonça qu’un détachement de cavalerie française se présentait aux portes. Aussitôt elles furent fermées, les ponts levés ; la garnison se mit sous les armes, et deux officiers allèrent au devant des Français pour savoir avec quelles intentions ils arrivaient. Ces officiers lurent assez mal accueillis par le commandant, qui leur dit que la neutralité entre la France et les Vénitiens était rompue. Invité à venir s’expliquer avec les magistrats, ce commandant entra dans Crème seul. On lui représenta qu’il ne devait point se formaliser de ce qu’on en usait avec sa troupe comme avec toutes les autres, et que du reste on avait la certitude que les rapports d’amitié entre les deux républiques n’étaient point changés, il insista pour qu’on lui ouvrit les portes, déclarant qu’il y entrerait de force, si on l’y obligeait, et qu’au surplus il ne demandait le logement dans la ville que pour un jour, sa troupe devant aller le lendemain àSoncino. L’entrée fut accordée, et il se trouva que ce détachement consistait en quarante hommes. Pendant toute la journée, ils se comportèrent avec modération ; on remarqua seulement que l’officier qui les commandait avait expédié plusieurs estafettes, et qu’il en reçut trois dans la nuit. Le 28 au matin, on eut avis de l’approche d’un autre corps de troupes françaises, qu’on disait do deux cents hommes, et d’un troisième de pareille