LIVRE XXXVI. 1Ü7 licit occasionné, dans le principe, par l’ambition de Louis XIV, accru sous le règne et de l’aveu de son successeur, était devenu immense, par une guerre impolitique, peu honorable dans ses motifs et ruineuse dans ses résultats. La dilapidation du trésor sous le règne présent, quoique le roi n’ait pas dépensé un sou pour lui-mème, avait, dès 1786, préparé les plus grands embarras au ministère. « Il n’y avait de ressource que dans les impôts ou les emprunts; mais les parlements, si impolitique-menl rappelés, contrariaient toujours le gouvernement, s’opposaient à tous ses projets, et finirent par déclarer qu’ils n’avaient pas le droit d’enregistrer les impôts sans le consentement de la nation : étrange aveu, par lequel ils s’accusaient eux-mêmes d’avoir outre-passé leurs pouvoirs pendant des siècles ! « On convoqua les notables en 1787, mais les intérêts privés prévalurent sur les intérêts publics, et celte assemblée, qui devait restaurer les finances, produisit moins de fruit que de scandale. « Les besoins n’en devenaient que plus pressants. Les parlements, constants dans leur système de rélicence, finirent par demander les élats-généraux. Cette demande était plutôt un palliatif que l’effet d’un désir sincère ; niais les deux ordres du clergé cl de la noblesse, après avoir, dans les bureaux des notables, soutenu victorieusement leur privilège si abusif de ne pas contribuer aBx impôts, joignirent leur voix à celle des parlements pour provoquer cette grande assemblée. « L’archevêque de Sens, alors principal ministre, avait embrassé un système despotique, dernière ressource d'un ministère moribond, qui avait révolté toute une nation. Quand il vit la fermentation générale, dont il ne pouvait se dissimuler les dangereuses conséquences, il promil, sans y mettre de la bonne foi, d’assembler les élats-généraux dans quatre ans; mais il fut expulsé. Necker, qui lui succéda, avait plus de présomption que de talent. Il accéléra la convocation de l’assemblée, il fil accorder au liers-état une représentation double, contre le vœu des notables qu’il avail appelés pour les consulter. «On ne peut nier que celte innovation, qui transformait le tiers en moitié, n’ait été la cause de l’explosion de la révolution actuelle ; c’est l’ouvrage de ce minisire, qui agissait innocemment, parce que sa vue ne portait pas plus loin, et qu’il ne voulait, par celte mesure, que forcer les ordres privilégiés à payer l’impôt. Mais il s’aperçut trop tard du danger qu’il y avait à mettre le gouvernement entre les mains des populaires. Ce fut en vain qu’il chercha, dans la suite, à rendre illusoire la double représentation qu’il avait accordée au tiers-étal, en faisant décider qu’on voterait par ordre el non par tête; ce remède ne pouvait plus être efficace. Il avait mis des armes dans des mains longtemps enchaînées, il ne pouvait plus en diriger l’emploi. « Je ne puis m’empêcher de dévoiler à l’excel-lentissime sénat le déplorable concours de circonstances qui a produit cette révolution dès longtemps opérée dans les esprits et reçue avec des transports de joie. « Des abus qui pullulaient sans cesse dans le gouvernement, des coups d’autorité renouvelés de jour en jour, la faiblesse du roi, toujours victime de ses bonnes intentions, le despotisme ministériel, l’odieux de la féodalité, toutes ces causes faisaient dès longtemps soupirer les peuples après un changement. Quand on eut perdu la confiance des sujets, il n’y eut plus à compter sur leur docilité. Déjà une prétendue philosophie, favorisée par la licence de la presse, avait puissamment influé sur les opinions et fail perdre lout respect, pour la religion d’abord, et puis pour le gouvernement; il n’y avait plus de frein dans le ciel ni sur la terre. A l’amour pour le monarque avait succédé le mépris. Tout déplaisait en lui; ses vertus mêmes prenaient l’apparence de défauts; ou lui reprochait jusqu’à sa tendresse conjugale, cl les Français, qui, pendant tant de règnes, avaient supporté le joug d’une favorite, ne virent plus qu’un criminel abus dans l’ascendant d’une reine et d’une épouse. « Parmi les causes de la révolution, on ne peut se dispenser de compter les intrigues du duc d’Orléans. Ce serait une lacune de n’en pas faire mention; mais on ne peut en parler sans horreur. Il avait concerté contre le roi et contre la famille royale un plan qu’il serait difficile d’expliquer, mais dont tout révèle l’existence. Les distributions d’argent, pour faire éclater des soulèvements dans Paris, ne cessèrent que lorsque le trésor de ce prince se trouva épuisé. Sans la nuit du 6 octobre 1789, sans la publicité de la procédure qui fut instruite au sujet des attentats commis à Versailles, lorsque le roi fut ameué prisonnier à Paris, il aurait pu rester quelque incertitude sur les crimes de ce premier prince du sang, et l’équitable postérité n’aurait peut-être vu que des motifs de soupçon dans les libéralités d’un avare. Les élats-généraux avaient toujours été le théâtre de scènes sanglantes, toutes les fois qu’ils avaient voulu prendre la direction des affaires. 11 y avait 17a ans qu’on ne les avait assemblés; les derniers n’avaient opéré quelque bien que parce qu’ils n’avaient rien fait. L’histoire remarquera qu’en 1788, ce ne fut pas par le tiers-état, alors passif, que fut sollicitée la convocation des états-généraux, mais bien par les ordres privilégiés, par les corps intéressés aux abus, et que cette assemblée a consommé