LIVRE XXX. 77 les Turcs (le la sincère neutralité de la république, i et à cet égard, malgré le serment prêté, lesUsco-ques se chargèrent de multiplier les preuves. La pêche, le cabotage, le commerce, les campagnes, tout fut en proie à leurs rapines : ils s’enhardirent jusqu’à attaquer des bâtiments armés, et comme on avait imaginé de garder quelques-uns des leurs en otage, ils se mirent à parcourir la côte, pour enlever quelques podestats vénitiens; ils surprirent le provéditeur Jérôme Marcello, avec ses gens, et l’emmenèrent dans leurs montagnes, où ils le transférèrent de caverne en caverne, jusqu’à ce que le gouvernement autrichien les eût forcés de le relâcher. VIL Cet outrage avait irrité les Vénitiens au point que leurs troupes ravageaient la frontière autrichienne de l’Istrie. Quand les deux gouvernements voulurent, en 1615, faire cesser ce fléau, ils commencèrent par se demander l’un à l’autre la réparation des dommages : c’en était assez pour ne pas terminer de longtemps l’accommodement qu’on désirait; caria république n’élevait pas ses réclamations à moins d’un million de ducats d’or; mais l’Autriche y. mit un obstacle bien plus insurmontable, en demandant, pour ses vaisseaux, la libre navigation du golfe. On sentit qu’il était impossible de se concilier sur ces deux points; on n’en parla plus, et on convint que l’Autriche s’engagerait à mettre fin aux brigandages des Uscoques, en plaçant une forte garnison allemande dans Segna ; à ce prix, les Vénitiens consentirent à lever le blocus des ports, et même à renvoyer quatre ou cinq Uscoques qu’ils avaient gardés pour otages. Il semblait que la cour d’Autriche n’eùt fait ce traité que pour inspirer de la sécurité à ses voisins, et fournir aux pirates l’occasion de surprendre une plus riche proie. Elle ne prit aucune mesure pour contenir, pour disperser, ni pour solder les Uscoques. Dès que les Vénitiens eurent levé le blocus des ports, les brigands sortirent au nombre de cinq cents, et allèrent à cinquante ou soixante lieues de là, ravager les côtes, enlever des bestiaux, et piller quelques villages. C’était sur le territoire ottoman qu’ils commettaient toutes ces hostilités; mais c’était dans les îles vénitiennes, qui couvrent le littoral de la Dalmatie, qu’ils venaient chercher un abri ou des vivres, les achetant et les dérobant tour à tour. La république arma une flottille, qui leur donna la chasse et leur prit quelques barques. Ils ne tardèrent pas à réparer ôet échec. VIII. Une galère commandée par Christophe Vc-nier entra dans un des ports de l’île de l’ago. Les Uscoques en ayant eu avis, s’approchèrent de l’île pendant la nuit, mirent à terre une partie de leurs gens, lesquels prirent poste sur une hauteur qui domine le port; les autres, montés sur six barques, arrivèrent à la pointe du jour sur la galère, qui, assaillie de tous côtés, fut enlevée à l'abordage. Ils jetèrent à la mer, après le combat, une quarantaine de passagers ou de personnes de l’équipage, et se mirent en route avec leur prise pour Segna. Chemin faisant, ils coupèrent la tête à trois des principaux officiers ; arrivés sur la côte, ils massacrèrent le capitaine avec une cruauté digne des Cannibales, et placèrent sa tête sur la table où ils célébrèrent celte victoire par une orgie : ensuite ils firent entrer la galère dans le port, et mirent les canons en batterie autour de la ville. La nouvelle de cette atrocité excita la plus vive indignation dansVenise; le peuple etlesamisdel’infortuné Venier demandaient vengeance, et criaient qu’il fallait exterminer les pirates; mais la république venait de s’engager dans une guerre de terre avec les Espagnols. Les personnages les plus graves du conseil pensèrent qu’il serait toujours temps de venger l’offense faite par les Uscoques au pavillon de Saint-Marc, et que le plus sùr était de choisir pour cela un moment où l’État ne serait pas menacé d’une guerre sérieuse. l‘lus il était difficile de croire que le gouverneur antrichien n’eùt pas favorisé cet attentat, puisqu’il avait reçu la galère, laissé vendre le butin et placer les canons sur les remparts, plus il était nécessaire de calculer scs forces, avant de se décider à une entreprise qui pouvait faire éclater la guerre dans l’Istrie, dans le Erioul, et sur mer, tandis qu’on l’avait déjà en Italie. On se borna à écrire, pour demander la restitution de la galère; le commandant de Segna répondit par des expressions de regret sur cet accident, qu’il appelait un malentendu, s’excusa de ne point rendre la galère, sur la nécessité d’attendre à ce sujet les ordres de sa cour, et ne renvoya que la tête du capitaine. Le gouvernement autrichien, au lieu d’offrir une prompte réparation, se borna à faire partir des commissaires, pour prendre, disait-il, des informations, proposant à la république d’en envoyer de son côté. Le sénat jugea que les faits parlaient assez d’eux-mêmes, pour démontrer la superfluité d’une pareille enquête, à moins qu’on ne voulût faire traîner cette affaire en longueur. En effet l’envoi de ces commissaires aurait compromis la dignité du gouvernement vénitien, car ils auraient pu voir journellement les pirates continuer leurs sorties, et rentrer chargés de butin. Les amiraux vénitiens se bornèrent à serrer la côte, et à défendre toute communication avec les pays habités ou fréquentés par les Uscoques. Les ministres autrichiens, se croyant en droitd’articuler des plaintes, plutôt qu’obligés d’offrir des répara-