LIVRE XXXV. 187 liberté des sujets, qu’il est permis d’accroitre les impôts. Il est vrai que la dette publique s’était accrue dans la même proportion, puisqu’elle était de qua-rante-quatre millions de ducats (cent quatre-vingt-quatre millions de notre monnaie). Celte augmentation de la dette confirme l’observation énoncée par plusieurs écrivains, qu’après soixante et dix ans de paix, l'administration était devenue si dispendieuse, que les revenus ne suffisaient pas à couvrir les dépenses annuelles. Cet état des finances 11e pouvait pas être longtemps un mystère : la république en fit l’épreuve, lorsqu’on 1783 elle ouvrit à Venise un emprunt à trois pour cent ; les nationaux n’offrirent point leurs fonds : 011 voulut voir si on aurait plus de crédit dans l’étranger; on transporta l’emprunt à Gènes; cet essai ne réussit pas mieux: enfin, il fallut s'adresser à Anvers, où l'on n’obtint qu’avec leirleur et difficulté la somme dont on avait besoin. Quant au système des impôts, le génie fiscal avait profité de toutes les inventions des temps modernes; impôts sur les terres, sur les personnes, sur les consommations, sur le commerce national et étranger, sur le travail, sur les mutations des propriélés. Je renvoie pour tous ces détails, à un mémoire qu’on trouvera à la suile de cette histoire, sur l’administration fiscale des Vénitiens. Je viens de dire que l’agriculture s’était perfectionnée; ceci me donne occasion de rendre hommage à quelques citoyens qui avaient contribué à en accélérer les progrès. L’un est Antoine Zanoni, qui, au commencement du dix-huitième siècle, propagea les mûriers, et perfectionna la culture de la vigne dans le Frioul, essais que le gouvernement de Venise encouragea par une médaille d'or : l'autre est le marquis Jérôme Manfrini, qui fit des plan-talions de tabac à Nona en Dalmatie. Un troisième est le comte de Carburi, coopérateur de Falconct, dans l'entreprise de transporter jusqu'à Saint-Pétersbourg l’énorme rocher qui sert de base à la statue de l’ierre-le-Graud. Le comte Carburi, dis-je, avait naturalisé dans Pile de Céphalonie l'indigo, le sucre et le café. 11 avait porté scs soins jusqu’à faire venir de la Martinique des cultivateurs pour diriger ces plantations. Un coup de poignard termina, en 1782, la vie et les travaux de cet utile citoyen, et vint interrompre des essais qui pouvaient être si profitables. O11 introduisit aussi dans la Dalmatie l.i cullure du pin et dû frêne de Calabre, qui produit la manne ; mais comment espérer de voir l’agriculture, le commerce, l’industrie, faire quelques progrès dans des colonies où le gouvernement ne permettait pas même l’établissement d’une imprimerie? XX. Celle période d’à peu près quarante ans, sur laquelle je viens de passer si rapidement, fut marquée par des symptômes qui annonçaient visiblement que la forme du gouvernement tendait à s’altérer. Tous les corps investis du pouvoir étaient successivement attaqués; les sages parle sénat, le sénat par les quaranlics, le conseil des Dix et les inquisiteurs d’Élat par le grand-conseil. Toutes ces rivalités qui commençaient à s’établir, prouvaient que la noblesse pauvre était mécontente, et qu’elle voulait faire l’essai de ses forces. Le sénat rendit plusieurs décrets qui diminuaient le pouvoir des sages, c’est-à-dire des ministres, et qui les astreignaient à lire dans cette assemblée toutes les dépêches arrivées au collège, sans la moindre suppression. Le sénat lui-méine avait à lutter contre les corps de magistrature, qui réclamaient leurs attributions, et contre le grand-conseil, qui, forcé presque toujours de réélire, contre son gré, les mêmes sénateurs, ne trouva pas d’autre moyen, pour s’affranchir de cette violence, que de décréter que le même sujet ne pourrait être l’objet de plus de trois élections consécutives. C’étaient autant d’allci 11 tes portées à l’aristocratie, ou, si l’on veut, à l’oligarchie, par la plèbe de la noblesse. Mais le conseil des Dix , cl surtout les inquisiteurs d’État, car ceux-ci avaient usurpé à peu près toule l’aulorilé des autres, furent l’objet des attaques les plus vives,et ces attaques furent renouvelées en 1761, en 1773,en 1777,en 1779. Souvent les concessions qu’on fait pour échapper aux dangers qui peuvent venir du dehors, n’ont d’aulre résultat que de favoriser la tyrannie au dedans, et d’y fomenter la discorde. Venise eu fil l’épreuve trois fois en moins de six ans. Les membres des quaranlics se croyaient en droit de réclamer une augmentation de leur modique traitement; les lois qui le fixaient étaient fort anciennes, lout avail changé de valeur. Cette prétention donna lieu à quelques harangues assez véhémentes dans les assemblées de ces magistrats. Pour intimider les promoteurs de ces nouveautés, les inquisiteurs d'Élat reléguèrent dans un monastère l’un des présidents de la quarantie criminelle. Quelque temps après, un provcdileur, un des sages du collège, un membre du conseil des Dix même, subirent à peu près le même sort. L’avogador Ange Qucrini, homme de talent et d’une fermeté qui allait jusqu’à l’opiniàlrelé, livré dès sa jeunesse à l’étude de l’histoire secrète de sa patrie, et plein des abus de pouvoir qu’on pouvait reprocher à l’inquisition d’État, entreprit d’alta-quer ce tribunal devant le grand-conseil. Un malin, en 1761, il fut enlevé, sur l’ordre d’uu inquisiteur, par les sbires, cl conduit dans la cita-