LIVRE XXXIV. li>j un coup de canon part de la place, lue quelques hommes; les Vénitiens s’élancent sur la brèche, pénètrent dans la ville, la saccagent impitoyablement, et tout ce qu’il y avait de Turcs est passé au fil de l’épée, « à la réserve de quelques heureux, » comme dit un témoin oculaire. Cette guerre prenait un caractère d’animosité qui explique les atrocités, mais qui ne les justifie pas. Le provéditeur-général de Zara attaquant une petite ville de celte côte, fit exposer aux yeux des assiégés, pour jeter le découragement parmi eux, une rangée de tètes, qui étaient celles des Turcs venus au secours de la place. Une peuplade des frontières de la Dalmatie, qui venait de tailler en pièces un corps de Turcs, envoya en tribut à Venise les têtes des vaincus; on les payait chacune deux sequins. Ce n’était pas la première fois qu’on voyait la place de Saint-Marc décorée d’un trophée pareil à ceux qu’on étale sur la porte du sérail. La république, qui ne se fiait pas imprudemment à ces premiers succès, se préparait les moyens de conserver ses avantages dans les campagnes suivantes. Ils ne pouvaient être durables qu’autant que ses alliés en obtiendraient aussi. Heureusement pour elle, Jean Sobieski et les Impériaux avaient repoussé les Turcs jusqu’en Moldavie. Le gouvernement de Venise levait des troupes allemandes, la Saxe et le duché de Brunswick lui en fournissaient, et ces troupes allaient renforcer l’armée de débarquement, aux ordres de Morosini. Quant aux ressources pécuniaires que ces levées de troupes et ces armements nécessitaient, le moyen de se les procurer était indiqué par les souvenirs de la guerre précédente. Les citadins opulents offraient de subvenir aux besoins de l’État, si on voulait leur vendre la noblesse; elle fut mise au prix de cent mille ducats, et trente-huit noms nouveaux furent ajoutés au livre d’or. Cette ressource ne dispensa pas de vendre des biens communaux, et d’établir de nouvelles impositions dans les provinces de terre-ferme. III. Morosini vit alors la possibilité de réaliser un vaste projet qu’il avait conçu, celui d’eidever toute la Morée aux Ottomans. Cette presqu’île, peuplée de chrétiens, qui pouvaient regretter leurs anciens maîtres en comparant leur gouvernement à celui des Turcs, devait faire quelques efforts pour secouer le joug des infidèles. En effet les habitants de la province de Maïua se déclarèrent pour la république, et contribuèrent à la défaite d’un corps commandé par le capitan-pacha en personne, et dont la dispersion rendit les Vénitiens maîtres de celle province. Ce fui là le résultat de la campagne de 1683. Celle de 1686 commença par la reddition des deux châteaux de Navarins, des villes de Modone, d’Ar- gos, et, bientôt après, de Naples de Romanie, qui était la capitale de la Morée. Le général turc se présenta deux fois pour arrêter les progrès de l’armée vénitienne ; deux fois il fut ballu complètement par le général suédois Kônigsmarck, que la république avait [iris à sa solde. En Dalmatie, plusieurs places importantes furent enlevées d'assaut. Les Turcs avaient leurs principales forces occupées ailleurs par les Polonais et par les Impériaux, qui venaient de prendre Bude. Venise était dans la joie de ces triomphes, et le sénat décrétait que Morosini transmettrait à son neveu, car il n’avait point de fils, le titre de chevalier dont il était décoré, titre qui devait passer à perpétuité au chef de celle maison. C’était un honneur qui, jusque là, n’avait appartenu qu’aux familles Querini et Contarini. Une nouvelle défaite de la petite armée ottomane, qui, toujours battue, se ralliait toujours, et revenait observer plutôt que contrarier les progrès des Vénitiens; la prise de l’atras et de Castel-Nuovo, où les Vénitiens firent, pour la première fois, usage des galiotes à bombes, inventées seulement depuis deux ans; la reddition des châteaux de Morée et de Ro-mélie, celle de Lépante, enfin la fuite du séraskier, qui repassa l’istlnne et abandonna Coriulhe, signalèrent la campagne de 1687, et complétèrent la conquête de la Morée. Dans toute celte province, il ne restait plus à soumettre que la place de Malvoisie. On allait avoir à défendre une péninsule qui ne communique avec la terre que par un passage très-étroit ; c’était un grand avantage, surtout pour un vainqueur qui pouvait se (latter de conserver quelque supériorité sur mer. Mais, ni le défilé de l’isthme, ni leurs forces navales, ne pouvaient rassurer les Vénitiens, si l’ennetni conservait, dans la proximité de la Morée, des établissements considérables où il put rassembler une armée, et d’où il eût la facilité de la jeter en quelques heures dans la presqu’île. Pour éviter cet inconvénient, il fallait occuper, non-seulement les grandes îles qui avoisinent la Morée, c’est-à-dire Négrepont nécessairement, et peut-être même Candie, mais encore le rivage septentrional des deux golfes que sépare l’isthme de Corinthe. La possession de Lépante, de Pairas et de quelques châteaux, rendait les Vénitiens maîtres de l’ancienne mer de Crissa : il restail à s’emparer du port que les ennemis tenaient sur la côte du golfe Saronique, opposée à l’Argolide ; ce port était celui d’Athènes. Les Turcs y avaient une nombreuse garnison; Morosini la fit attaquer par une vigoureuse artillerie, l qui, sans respect pour celle patrie des arts, foudroya j ce qui restait des glorieux monuments de l’antiquité. | En moins de six jours, toute la ville fut en flammes